La clef universelle

« Alors ?! Comment t’as fait, au final ? »
Bien en chair, Monjrau s’accouda lourdement sur son comptoir, non loin des ultimes découvertes d’Allir. Malgré son embonpoint et la tache rouge qui entourait son œil droit, le receleur pouvait se vanter d’une certaine prestance. Ses cheveux plaqués en arrière et sa fine moustache, exigés par la mode actuelle chez les nobles et les bourgeois, ne lui convenaient finalement pas si mal. De sa main libre, il tendit son gilet aux reflets violets, avant d’interroger Allir de la tête. Ce dernier souffla d’exaspération.
« J’en suis pas super fier, on peut éviter le sujet, s’il te plaît ?
– Après tout ce que tu m’as raconté sur tes tentatives échouées, tu crois vraiment que je vais te laisser partir comme ça ? D’autant plus quand je vois le résultat. Une statue aux bras brisés, quelques pièces de vaisselle, les habituelles lanternes… Je pense pouvoir tirer un bon prix du tableau, mais pour le reste…
– Même pas la tête de gardien ? Je l’imagine bien en trophée de chasse.
– Pour afficher aux yeux de tous les invités que son propriétaire n’a pu s’offrir qu’une partie inactive ? Ne sois pas ridicule. Allir, qu’est-ce qui t’arrive ? s’étonna le receleur. Je compte beaucoup sur toi. »
L’archilleur afficha clairement sa tristesse.
« Méaknar est finie. C’était la dernière porte. Plus de secret, plus de richesse.
– Désolé pour toi, mon ami. Je sais que c’était ta première cité, ta découverte. Mais tu t’attendais quand même pas à ce que les autres te la laissent. C’est le jeu.
– Pas faux.
– Vous n’êtes pas nombreux, vous autres monteurs de dragon, mais vous avez tous le même appétit dans le métier. »
Les épaules d’Allir s’affaissaient au fur et à mesure du discours de Monjrau.
« Bon, j’ai peut-être quelque chose qui pourrait éventuellement t’intéresser.
– Dis-moi, répondit l’archilleur en relevant des yeux marqués par la détresse.
– Ah ah, non. Une info contre une info. Allez, comment tu l’as ouverte ?
– Bien, souffla-t-il, si tu insistes. J’ai fait jouer la clef universelle.
– Que… s’étrangla Monjrau. D’où ça sort, ça ?
– Tu sais que ma nacelle dispose de chaînes qui permettent à Voliette de porter de lourdes charges en vol. Eh bien, j’ai planté leurs griffes métalliques dans la porte, et je lui ai demandé de s’envoler. Ça a tout arraché. Quelle classe, n’est-ce pas ? Le respect du grand archilleur dans toute sa splendeur. Je t’ai dit qu’en réalité, la maison n’était pas du tout en bon état ? De l’extérieur, elle semblait parfaite. Une fois l’intérieur accessible, j’ai constaté l’ampleur de la catastrophe. Le plancher de l’étage se trouvait littéralement à la place de celui du rez-de-chaussée. Un trou béant dans le plafond. Bref, conclut l’archilleur au comble du désespoir, tu vois là tout ce que j’ai pu dénicher dans ce que je croyais être le dernier joyau de Méaknar.
– Je ne te le fais pas dire.
– Merci pour ton soutien, Monjrau, ironisa Allir.
– Que veux-tu que j’y fasse, j’ai un marché à garnir. Ce qui me vient à penser… Une info contre une info, c’est ce qu’on avait dit ? s’amusa le receleur. Un homme, la trentaine, les traits droits et sévères, rien de notable sur ses vêtements, si ce n’est qu’il semble riche, a annoncé une chasse pour les pilleurs qui aiment les défis. Je n’en sais pas plus. Le rendez-vous se tiendra au Grand Cru, dans trois jours.
– Le Grand Cru, dans trois jours. Ça ne me coûte rien d’aller voir.
– Et ça peut rapporter gros. D’ailleurs, avec tout ce que tu as déjà, tu ne voudrais pas te rendre plus présentable ?
– Quoi ?! se vexa-t-il faussement. Mon gilet est toujours aussi profond qu’une nuit sans lune, et les fils d’or de mes galons renvoient indéfiniment la lumière du soleil, déclara-t-il comme une annonce pour attirer d’éventuels clients.
– Sans doute, sous cette crasse. Sans compter les trous et les accrocs.
– Mais ils sont confortables ! Tu crois vraiment que je vais endosser de beaux atours pour ensuite fouiller des décombres et déterrer des trésors ? J’ai mieux à faire.
– C’est ça, moi de même. Allez ouste !
– Le Grand Cru, dans trois jours. Merci, Monj. Ah, et tu penses qu’Aljère sera là ?
– Bien sûr ! Tout le monde sera là. »

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