Alerte générale

– Activez le bouclier !

L’ordre s’échappa d’un petit cône métallique sortant du plafond et provoqua une vague de flottement dans la salle des machines. Les mécaniciens, qui ne disposaient d’aucune ouverture vers l’extérieur, profitaient d’une pause bien méritée. Chaltan s’adonnait à son passe-temps favori à l’instant où la voix du capitaine résonna dans l’air. Il leva les yeux de ses cartes et échangea quelques regards avec ses camarades. Avaient-ils, eux aussi, entendu la même chose que lui ?

– Tous à vos postes de combat ! retentit, lointaine, la voix du second. Armez les canons !

– Bande de poulets déplumés, levez-moi ce bouclier ! Qu’est-ce que vous attendez ? Tous les hommes disponibles sur le pont !

Cette fois, l’injonction fit mouche.

– Dommage, se pavana Chaltan en abaissant une main pathétique avant de ramasser sa mise.

Ses pièces ayant retrouvé le fond de sa bourse, le chat bleu s’empressa d’empoigner l’une des quatre roues présentes sur le mur bâbord, rejoignant trois camarades qui désapprouvèrent ouvertement sa lenteur. Dans un même ensemble, ils tournèrent jusqu’à sentir la butée. Là-haut, sur le pont principal, un bouclier ovoïde devait protéger Vélor de toute attaque extérieure. Il était désormais temps de remonter pour renforcer les rangs. En sa qualité de chef mécanicien, Chaltan avait la charge de rester dans la salle des machines et de maintenir l’équilibre du navire dans le pire des cas. Il enrôla pour cela les chiens jumeaux Montar et Mantar. Leur présence dans son équipe ne lui avait jamais convenu, mais les ordres du capitaine ne se discutaient pas ! Chaltan devait tout de même reconnaître leur efficacité.

– Nous sommes prêts, dîtes-moi où nous en sommes, demanda le marin au pelage bleu dans un cône similaire à celui du plafond.

La réponse qu’il reçut prit une forme inquiétante. Le navire fit une violente embardée, des explosions retentirent et plusieurs bruits caractéristiques d’un boulet traversant dangereusement une coque en bois résonnèrent. Le visage de Chaltan devint plus dur.

– Capitaine ! Parlez-moi ! Sont-ils à bâbord ou à tribord, quel écart y a-t-il entre eux et nous, et à quoi devons-nous nous attendre ? Montar, Mantar ! Détournez une partie du flux dans les réservoirs, on va avoir besoin de réagir vite.

– Ennemi à bâbord arrière, tonna la voix du capitaine.

– Bâbord arrière, répéta Chaltan.

– Il doivent avoir un mage puissant, ils ont tiré avec leurs canons de proue depuis plus d’un kilomètre.

Chaltan n’en crut pas ses oreilles.

– Chaltan, va vérifier que nos marchandises n’ont pas été touchées. Remplis aussi les réserves auxiliaires. Vélor, tu vas devoir t’occuper des canons !

– Auxiliaires en cours de remplissage, capitaine.

– Parfait ! Ils nous rattrapent, hurla-t-il pour ceux présents sur le pont. Préparez les…

Sa voix mourut. L’instant se prolongea, les mécaniciens se regardaient sans savoir quoi faire, paralysés par la situation, jusqu’à ce que l’instinct de Chaltan reprenne le dessus. Il ordonna aux deux chiens de poursuivre les manœuvres. Les boucliers bâbord serviraient sûrement, à moins que leurs poursuivants n’en décident autrement. Une partie de l’énergie sifflée au goéland devait aussi les alimenter. Ses ordres donnés, Chaltan se dirigea vers la poupe du navire, où l’attendait la cargaison spéciale.

Un nouvel écart de trajectoire propulsa Chaltan contre un pilier massif. Sa tête heurta violemment le bois. La suite des événements se confondit en un ensemble de bruits sourds, de copeaux de bois, de débris et de cris. Une vague sensation de voler l’inonda avant de sombrer.