Dans les décombres

Qui risque gros peut certes tout perdre, songea Allir accroché aux cornes de Voliette, en vol stationnaire devant le globe brisé d’une haute tour, ou rafler bien plus que la mise. Concentré sur cette deuxième partie, l’archilleur plia les jambes, tendit ses bras derrière et inspira profondément. Il osa un dernier regard vers le sol, quelques dizaines de mètres sous ses pieds. Suffisamment pour profiter de la chute, et trop peu pour laisser le temps à la dragonne de plonger à sa poursuite. Lorsqu’il se sentit prêt, ou assez fou pour s’élancer, il poussa de toutes ses forces et lança ses mains le plus loin possible devant lui.
Ses pieds quittèrent rapidement le confort relatif des écailles de Voliette, son corps tout entier se perdit dans le vide, sans attache ni assurance. Étrangement, suspendu là-haut, entre ciel et terre, entre son but et sa dragonne, le temps sembla s’étirer, lui offrant tout le terrible loisir d’analyser sa situation d’un nouvel œil. Allir savait pertinemment qu’il était trop tard pour reculer, regretter son geste et agir différemment. Pourtant, en cet instant, ses pupilles ne pouvaient se détacher du verre brisé et tranchant, et définitivement mortel, qui encadrait sa fenêtre d’approche. À coup sûr, il n’irait pas plus loin.
Les mâchoires serrées, son regard se durcit. Il refusait cette éventualité ! Sans parvenir à l’oublier tout à fait, l’archilleur tourna ses yeux vers les ombres qui vivaient à l’intérieur de la tour, derrière le globe. Voilà où il devait se rendre, voilà où il comptait se rendre, envers et contre tout ! Suivant un étrange réflexe, il se regroupa sur lui-même et franchit l’obstacle en véritable boulet de canon.
Le temps reprit alors son cours.
Contrairement au saut qui avait semblé durer une éternité, pleine de doutes et de réflexions, l’atterrissage se montra bien plus rapide, d’une tangibilité réelle, frappante. Allir ne put ni amortir ni accueillir sa chute. Au lieu de cela, il s’écrasa et roula sur lui-même, entraîné par sa vitesse, jusqu’à le sentir se dérober sous lui. Sans même s’aviser qu’il tombait dans un trou, son corps s’éveilla et, par un réflexe sortant de nulle part, sa main enserra l’extrémité de cette fosse avide.
Une fraction de seconde plus tard, alors que l’archilleur se croyait tiré d’affaire, sa prise s’effrita. Ses doigts se refermèrent sur un tas de poussière, et il répondit à nouveau à l’appel de la pesanteur. Perdu dans un tourbillon de questions, dans les affres de la peur et de l’incompréhension, il heurta lourdement le sol. Fut-ce son épaule qui craqua, ses côtes, ou sa hanche ? Il l’ignorait. Il roula sur un pan de mur incliné avant de s’arrêter définitivement. Du moins son corps. Car sa tête poursuivit intérieurement sa course insensée un instant.
Finalement, le calme revint après quelques secondes, quelques heures, peut-être une journée. Allir souffrait en de multiples points, bien qu’il semblait entier et apte à bouger chacun de ses membres. Tant bien que mal, les dents serrées pour résister au mieux à la douleur, il se redressa et ouvrit les yeux.
Ces derniers s’écarquillèrent en réponse à la surprise.

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