Au cœur de la tour

Là, juste devant lui, au milieu de la pièce, entourée de bureaux relativement intacts, une cuve le toisait de toute sa splendeur. Seulement, si son apparence se rapprochait de celles qu’Allir avait déjà vues, sa taille n’était en rien comparable. Celle-ci atteignait presque le plafond, lui aussi démesuré. Des griffes de métal s’extirpaient de la voûte. Placées sur un rail circulaire, elles demeuraient ouvertes, refusant d’agripper ce cadeau que l’archilleur s’échinait à voir comme un mirage.
Se sentant perdu au cœur d’un rêve, d’un brouillard épais, poisseux et profondément douloureux, Allir ferma longuement les yeux pour se sortir de cette mélasse. Son corps l’élançait de partout. Ses bras, ses jambes, son dos, ses genoux, tout n’était que rappel de sa chute à rebondissements. Il se frotta le visage, puis fut contraint d’accueillir la vérité. Une cuve géante siégeait bel et bien au milieu de la pièce.
Cahin-caha, sa carcasse accepta de le mener au plus près de son objectif. Là, sa main tremblante d’excitation se posa doucement sur le métal clair, presque blanc. Ses doigts suivirent avec passion les gravures et les reliefs bleutés qui l’habillaient. Au contact de cet artefact antique, Allir avait l’impression de renaître, de renouer avec lui-même, et les cités volantes. Même s’il ne comprenait pas encore l’utilité de cette cuve, il savait que son importance dépassait tout ce qu’il avait pu imaginer.
Il devait absolument l’ouvrir !
Furieusement, ses yeux la balayèrent de haut en bas, de bas en haut, sans rien révéler de notable. Appuyé sur les parois pour mieux se déplacer, il en fit le tour, à l’affût du moindre indice. Mais rien, pas une poignée ni un levier pour l’aiguiller, pas de plaque apparente à ôter ni de serrure où glisser une clef…
Momentanément découragé, l’archilleur s’éloigna de quelques pas pour observer cette merveille belliqueuse. Oh, si elle voulait se battre, Allir n’avait pas dit son dernier mot. Si la cuve en elle-même refusait de bouger, peut-être que les griffes attachées au plafond lui seraient d’une quelconque utilité. S’il parvenait à les activer.
Se détournant de son adversaire, il se dirigea vers les bureaux environnants, où il découvrit de vieux livres, quelques feuillets libres et tapissés de poussière. Ici ou là traînait un gobelet ou deux. Rien de très intéressant, excepté que la question qui dormait dans l’esprit de tous les curieux des cités volantes s’éveilla : qu’était-il donc advenu des habitants ? Il ne restait aucune trace d’eux, seulement de leur quotidien.
Cette interrogation fut immédiatement balayée lorsqu’Allir découvrit du coin de l’œil, fiché non loin dans un mur, un levier. Il abandonna sur place le livre qu’il tenait, empli d’une écriture rigide, aux courbes brisées, toujours indéchiffrée, et tut ses douleurs pour fondre vers lui.

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