La cour du château offrait un spectacle surréaliste.. Les murs présentaient un dégradé de bois blanc, d’échafaudages et de pierres. Petit à petit, la clarté cédait le pas à la grisaille impénétrable, inébranlable. Les ouvriers s’agitaient en tout sens, grimpaient aux échelles et criaient à qui pouvait les entendre. Les poulies grinçaient sous le poids de leurs lourdes charges. Les anciennes façades tombaient ou éclataient en nuages de poussière, de sciure et d’éclats. Le sol de terre battue se voyait recouvert de pavés inégaux. Le chant des marteaux se répercutait sur le chantier et venait se mêler à cet opéra chaotique.
La mâchoire serrée, la tête droite, ses yeux captèrent une petite tache sombre sur les pavés. Là, une autre, puis encore une autre. Une fine pluie s’éveillait en cette triste fin d’après-midi. Non loin, les gouttes disparaissaient avant d’atteindre le bois rougi. Leur lutte contre les flammes était inutile. Les cris de terreur et les supplications avaient cessé. Désormais, ils se répercutaient en échos interminables dans sa tête. Les corps continuaient de brûler, sans vie. Impossible de les voir dans ces cages aux ouvertures si petites que seules les langues de feu pouvaient venir les lécher.
Bénédiction ou malédiction ? Impossible à dire, son esprit parvenait à imaginer ces quatre personnes implorant pour leur vie avant de succomber à la folie. Le fer de la cage devenu brûlant avait transformé ce qui les séparait de la liberté en paroi infernale. Chaque fois que leurs poings avaient frappé le métal, la chaleur les avait assaillis. Le son des coups contre la prison était venu se joindre aux cris désespérés.
Ils restèrent là jusqu’à ce que les flammes se tarissent pour céder la place à quatre tas de cendres fumantes. Les cages déjà noircies par les précédents bûchers continuaient de maintenir les prisonniers captifs. La cour, désertée par l’annonce de la pluie, semblait aussi vide de vie que les corps calcinés. Il ne restait plus rien des change-formes.
« Vous comprenez que si vos informations s’avèrent inexactes, vous en subirez les conséquences. » La voix du chevalier avait frappé l’air aussi brutalement qu’un éclair. Tournant le regard vers lui, son esprit se reprit. Son visage et sa gorge, sa main et son épaule. Leur traîtrise à tous. Rien ne l’empêcherait de survivre. Même si cela impliquait de vendre quelques innocents.
« Je sais. » Sa propre voix lui parut étrange à ses oreilles. « Vous ne serez pas déçu, vous verrez. »