Colère soudaine (partie I)

Ils n’avaient fait la rencontre de ce Grunthor que depuis quelques jours et Éloare connaissait déjà la totalité de son groupe. Quinze personnes en tout et pour tout formaient cet ensemble de paysans, d’artisans et de commerçants. Ajouter à cela Grunthor lui-même, un guerrier étranger, et un couple de nobles ayant perdu leur unique fils, la harge et l’ark Dysolt. La femme n’était d’ailleurs même pas une change-forme. Le rang de ces derniers n’était plus visible que par leur gestuelle, leurs cheveux coiffés au mieux et les broderies qui serpentaient sous la crasse de leurs vêtements. Alissart ignorait s’ils n’avaient jamais été hautains cependant, ici, sous terre, entourés de roches lisses, et maintenant, chassés par la reine et entourés du peuple, ces nobles vivaient comme tout un chacun.

Cette nuit, la lune, haute et pleine, dispensait une vive lumière répercutée par la pâleur des roches. Et, enfoui cinq mètres sous terre, Alissart avait l’impression d’être entré dans un nouveau monde. Tout semblait briller autour de lui. Le sol, les murs et même le plafond avaient cette lueur vive qui effaçait même les recoins les plus sombres. Nulle flamme ne dansait au centre de la pièce naturelle, nul feu ne les réchauffait. La pierre rendait une douce chaleur accumulée pendant la journée.

Suivant un rituel quotidien, les gens chuchotaient par groupes plus ou moins importants. Alissart ne les écoutait que d’une oreille distraite, son attention portée vers sa femme et le guerrier. Tous deux discutaient déjà depuis plus d’une heure. Le rire de sa femme avait déjà retenti à plusieurs reprises et chaque fois, un vil pincement au cœur avait suivi une joie certaine. Celle de la savoir enfin heureuse. Pour sa part, il restait là, la tête posée sur ses pattes avant, attendant de voir le bonheur d’Éloare s’éveiller à nouveau. Pourtant, c’est lui qui aurait dû être à la place de Grunthor, c’est lui qui aurait dû la faire rire à nouveau. Cette pensée l’obsédait sans que son corps ne parvienne à lui obéir. Une fois encore, ce son cristallin, aussi enchanteur qu’un lever de soleil printanier, résonna à ses oreilles. Il restait là. La vie de sa femme prenait un nouveau tournant, il devait la laisser être heureuse.

Ses pattes se redressèrent en un bond rapide lorsque la voix de Grunthor tonna dans la grotte souterraine : « Tu ne sais pas ce que cela fait de prendre plaisir à ôter une vie ! Le goût du sang qui… » Le guerrier s’avisa de son comportement, balaya l’assemblée du regard et fixa son attention sur l’aindo. « Je vais chasser, souffla-t-il. Alissart, tes compétences pourraient m’être utiles. Intéressé ? » Grunthor n’avait aucune envie d’en rajouter, cela se voyait. Le regard d’Alissart passa de sa femme au guerrier puis du guerrier à sa femme. Et il se décida, ses pattes le menant vers la sortie.

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