Laissant ses doigts glisser sur sa robe, Moelique ferma les yeux pour mieux ressentir la douceur de cette laine d’exception. Jamais elle n’avait porté un vêtement d’une telle richesse. Les broderies sur son ventre la ralentirent un instant avant que ses mains ne filent et ne tombent le long de ses cuisses. La finesse de la soie venait se fondre dans ce chef d’œuvre et couvrait ses épaules en deux couches légères. Agrémentée de fines lianes, elle habillait son cou et venait rejoindre la laine peu avant son décolleté. De même, elle marquait ses flancs pour rejoindre le pourtour de son nombril. Trois pans de tissus couvraient sa jambe gauche pour seulement deux sur sa droite. Là encore, la soie brodée voletait.
Ses yeux s’ouvrirent et sa rêverie de princesse s’enfuit lorsque trois coups retentirent à la porte. Attendant son invitation, un homme pénétra dans la chambre. Lui aussi portait un vêtement de circonstance, à l’apparat moindre que sa robe, plus seyant que son armure habituelle. Ses muscles parfaitement visibles sous son surcot vert émerveillèrent un instant Moelique, qui en oublia l’épreuve qui l’attendait. Okrone, cet homme si fort, si droit, ne la laissait pas indifférente maintenant que les ténèbres ne voilaient plus si profondément son avenir. Son regard à la fois tendre et sévère devait cacher une grandeur d’âme et une dévotion qui la protégeraient de toutes les horreurs. Si leurs sentiments se trouvaient partagés.
« Comment me trouvez-vous, demanda-t-elle sans préambule ? » Étrange, cette simple phrase sonnait différemment dans son esprit. « Je veux dire, comment trouvez-vous la robe ? C’est un travail remarquable. Les tissus, la coupe. D’où vient-elle? Je n’ai jamais rien vu de tel.
-Madame, les traités récemment signés avec notre allié nous apportent bien des nouveautés, répondit-il tristement. Cette robe tient principalement de leur façon.
-Vous ne semblez pas satisfait de cette situation. » Okrone n’ajouta rien, il se tint droit dans le cadre de la porte. « Votre visage est un livre ouvert. J’ai lu la mélancolie en vous comme la mer s’abat sur la roche. Cet accord dont vous avez parlé, il ne vous convient pas, n’est-ce pas ? » Moelique n’obtint pas plus de réaction que précédemment. « Inutile, vous portez toujours l’ancien blason sur votre vêtement. »
Heureuse de son effet, elle fit un pas langoureux vers le chevalier avant que la vision de son visage défiguré ne l’assaille. Comment avait-elle pu oublier l’horreur qu’elle était à présent ? Voilant sa joue de sa main, elle fit enfin réagir Okrone. Il leva légèrement le bras dans sa direction, sa bouche s’ouvrit, désireuse d’intervenir enfin, et se figea.
« Laissez-moi, souffla Moelique, plus en colère qu’elle ne l’aurait voulu.
-Bien, je vous attendrai dehors. »
Après tous ses sacrifices, ce maudit Alissart la hantait encore ! À la veille de sa nouvelle vie ! De rage, la change-forme arracha l’un de ses bracelets et le jeta à travers la pièce. Le rituel qui l’attendait allait-il réellement la libérer de tout cela ? Il ne lui restait plus que cet espoir. Cet espoir fou et insensé. Elle comptait troquer sa vie. Et pourquoi ?
Moelique s’approcha de la fenêtre. Le ciel l’attendait, d’un simple battement d’ailes elle pourrait rejoindre les nuages.