Bonheur retrouvé

Après le don de Grunthor, l’abandonner ainsi heurtait Alissart. Sa vie retrouvée grâce au guerrier, il considérait qu’une dette d’honneur les liait, à jamais. Et le voir partir disposer des traces de fuite pour laisser supposer aux soldats de la reine que leur groupe cherchait une nouvelle cachette, seul, et blessé, le tiraillait. Seulement, son nouveau compagnon disait vrai. Éloare méritait de retrouver son mari. Tout comme lui devait accepter de se perdre dans l’amour de sa femme.

Alissart inclina la tête et posa tendrement sa joue contre la chevelure qui lui chatouillait le cou. Inspirant profondément, il laissa les doux effluves l’envahir. Depuis combien de temps s’était-il privé de ce bonheur simple ? Et pourquoi ? Les regrets vinrent un instant assombrir ses pensées. Murios, Moelique et les autres. Profitant de son désir de protéger sa femme, ils l’avaient désorienté et dénaturé, transformé en un monstre aveugle et sanguinaire. Sa mâchoire se crispa, sa soif de sang s’éveilla.

Éloare releva la tête, leurs regards se croisèrent. Il put y lire la douceur et l’amour, la joie d’un bonheur enfin retrouvé. S’y mêlait une pointe de tristesse, pour lui, pour elle. Il savait combien elle aussi regrettait tout ce qu’ils avaient traversé. Un simple sourire et le malheur quitta ses yeux désormais si brillants. Ils se perdirent ainsi un instant et se noyèrent dans le bien-être. Les remords ne terniraient pas leur avenir. S’en préoccuper signifiait lutter et, Alissart le savait, combattre ne lui apporterait que l’obscurité. Aussi décida-t-il d’accepter ses choix, ses actions, aussi terribles fussent-ils, et de se tourner vers l’avenir, vers sa femme et leur vie commune.

L’apaisement revenu, ils se détendirent et reprirent la même place, elle posée sur son épaule, lui laissant sa tête contre la sienne. Sa main vint se faufiler le long de sa chevelure tombant en cascade pour se poser sur sa joue. Son pouce montait et descendait, lentement, profitant de chaque seconde. Jamais plus il ne l’abandonnerait, ou plutôt, désormais, il resterait avec elle pour toujours. Cette nuance ne changeait pas le sens de sa pensée, toutefois elle l’orientait différemment, vers un sens qu’Éloare méritait, vers une vie plus douce.

Ainsi son doigt cessa son mouvement et sa main devint plus ferme. Il releva la tête et orienta celle de sa femme vers lui. Il resta figé, leurs regards de nouveau emmêlés. L’instant s’étirant, Éloare commença à s’inquiéter. Puis il lui sourit et prononça une phrase qu’il ne s’était pas permise depuis une éternité : « Je t’aime. »

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