Fuite entre les rochers

Sortant des ombres, Alissart soutint fièrement les regards tournés vers lui. Celui de Grunthor trahissait sa déception. Était-elle orientée vers lui-même ou vers l’aindo ? Le plus difficile venait de la tristesse apparente de sa femme. Éloare avait sans doute dû voler pendant de longues heures, tournant en rond au hasard pour les retrouver, pour le retrouver, et voilà qu’il redevenait animal. Sans doute croyait-elle l’avoir perdu à jamais, une seconde après leurs retrouvailles. Pourtant maintenant, son choix était fait. Sa femme ne devait plus craindre la solitude. Ses erreurs comprises, une volonté retrouvée gouvernait ses regrets. Abandonner sa raison de vivre tel qu’il l’avait fait pendant si longtemps était injuste. Continuer sur cette voie en ayant conscience du mal qu’il engendrait serait impardonnable. Aussi sourit-il avec autant de douceur qu’il le put pour la rassurer.

Un sifflement attira leur attention à tous. Le ciel s’assombrit d’une volée de flèches. « À l’abri, hurla Grunthor en agrippant Éloare par le bras pour les mener sous un rocher ! » Les traits mortels s’abattirent en un fracas assourdissant. « Nous ne devons pas rester là, reprit le guerrier lorsque le calme revint. » Une nouvelle salve vint bientôt perturber sa déclaration. « Ils nous obligent à nous cacher pour nous approcher sans crainte. Si nous restons ainsi, ils nous tueront sans que nous puissions réagir. Attendons leur prochaine attaque et suivez-moi. Éloare, transforme-toi et accroche-toi à ton mari. » Alissart inclina la tête en signe d’approbation. Hésitante, sa femme mit quelques instants avant de reprendre son apparence animale et de se diriger vers lui.

Une nouvelle volée de flèches s’abattit devant leurs yeux et Grunthor annonça leur fuite. Alissart n’attendit pas que sa femme le rejoigne, il le fit pour elle. Plongeant la tête vers le sol, il lui offrit une prise sur son cou avant de courir à la suite du guerrier. « Là, cria un soldat, ils s’enfuient ! » Les change-formes se faufilèrent entre les rochers, tournèrent sur leur droite puis à gauche avant de s’engouffrer dans un petit tunnel. Le but étant de les perdre dans ce dédale, Grunthor devait suivre le chemin le plus compliqué pour des hommes en armure. Un moment, il s’arrêta pour les laisser passer, sa femme et lui. Rapidement, un cri étouffé et le bruit du métal s’écrasant sur la roche les rattrapèrent. Alissart s’arrêta un instant, inquiet pour son compagnon qui, les rejoignant, leur intima de continuer.

L’aindo s’élança en tête du groupe. Même ainsi, sous sa forme d’évilier, sentir sa femme contre lui ravivait une joie de vivre qu’il croyait perdue, décuplant ses forces. Une fois de plus, le guerrier resta en arrière pour surprendre leurs poursuivants et diminuer leur nombre. Seulement cette fois, il tardait à revenir. Alissart stoppa alors sa course et agita le cou, faisant signe à sa femme de descendre. Grunthor devait se trouvait en danger, impossible pour lui de l’abandonner, pas après l’aide qu’il leur avait fournie à tous deux. Étrangement, elle s’exécuta sans résistance. Il s’autorisa donc un regard plein de douceur avant de repartir en arrière, vers Grunthor.

Trois hommes gisaient à terre, hurlant de détresse ou plus simplement morts. Encerclé par quatre autres, le guerrier était acculé. Caché derrière un rocher, Alissart attendit que l’un d’entre eux attaque pour lui sauter à la gorge. Le soldat ne put réagir que trop tard. Il tomba sous le poids de l’aindo, s’offrant ainsi à la mort. Grunthor profita de la surprise pour abattre sa hache sur le bras de l’un de ses opposants et, dans le même élan, l’enfonça dans le ventre d’un deuxième. Le troisième finit par se ressaisir et fendit l’air de sa lame. Le guerrier abandonna son arme pour bloquer le bras du dernier soldat et, de sa main libre, attrapa sa tête casquée pour la fracasser contre un rocher. Un cri aigu tonna dans le ciel. Abandonnant un soldat qui avait fini par les retrouver, Alissart tourna la tête vers les nuages et vit sa femme, les ailes repliées, s’attaquer à un archer. Un brin trop tard. Avant de se protéger du mieux qu’il put, il lâcha la corde de son arc. Sa flèche fila dans l’air pour se ficher dans le pectoral de Grunthor qui s’écrasa le dos contre un rocher. L’évilier s’acharnait à piquer l’homme au visage. Le soldat finit par crier de douleur avant qu’Alissart ne lui saute à la gorge, sa femme lui avait percé un œil.

La bouche ensanglantée, Alissart se tourna vers Grunthor qui, faiblement, annonça un nouveau départ. Leur fuite reprit.

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