Quelque peu contrarié par les récents événements, il empoigna son verre avec un surplus non maîtrisé de force. Un flot léger glissa sur la paroi transparente pour s’élever le temps d’un instant dans l’air. Le liquide sombre esquiva de justesse le bois de sa commode pour se laisser attirer par la pesanteur. Se scinder en une pluie fine puis se rassembler, s’étaler dans le vide pour se disperser à nouveau, fut la seule folie qu’il s’autorisa avant de percuter le sol. Avide, le tapis absorba autant de cette grâce perdue que possible, provoquant le désappointement du seigneur Guaal. Son expiration bruyante l’extirpa de sa contemplation silencieuse.
Cette tâche ayant suffisamment pris de son précieux temps, le duc rejoignit son siège, et son désormais habituel invité.
Il s’installa confortablement, se convainquant que la capture de Carmin ne modifierait en rien ses plans. Même si ce misérable farceur révélait la vérité, Renouille ne pourrait jamais répliquer. La percée des jamures se poursuivait trop loin dans les terres pour que son entourage croit encore en ses capacités de stratège. Et le spectacle qu’il avait donné lors de sa récente soirée avait anéanti ses derniers espoirs. Pour couronner le tout, l’avenir de son fils s’effritait. Soit il accédait au trône sans aucun soutien, soit il prouvait sa valeur au combat. Et nul n’ignorait son manque de talent aux armes. La mort le prendrait au premier échange. Tandis que pour le duc, l’horizon brillait d’une lueur prometteuse. Ne lui restait plus qu’à préparer l’attaque qui le mènerait à la victoire totale. Et pour cela, Yarflel et son étrange aura l’y aideraient.
« Ainsi, nous y sommes.
-Presque, seigneur Guaal, presque. Aussi, permettez-moi de vous rappeler vos engagements.
-Bien entendu, mon ami. Dès mon accession au trône, je signerai des accords exclusifs avec les vôtres. L’archipel Llormo renaîtra de ses cendres pour devenir un point central du monde. L’affront qui vous a été fait sera rapidement oublié. Êtes-vous satisfait ? » Yarflel acquiesça. « Voilà qui me fait plaisir. Maintenant, nous devrions passer à cette attaque. Le succès nous garantira à tous deux ce que nous désirons.
-Vous avez raison. »
Dans un même ensemble, il se levèrent afin d’aller observer la carte du front de l’Est.
« Je me dois de vous avertir, seigneur Guaal, vous ne pouvez suivre votre plan d’origine. Les jamures savent ce que vous préparez. Regardez. » Il pointa le secteur du doigt. « Ils rassemblent leurs forces ici, et là. Si vous vous y engouffrez comme prévu, ils vous encercleront.
-Comment est-ce possible ?! Et comment savez-vous cela ?
-Vous doutez de moi ? » le llormien inspira profondément, visiblement déçu. Puis il reprit, sans montrer le moindre sentiment. « Le vent porte les murmures de chacun, il suffit de les écouter. Tout comme vous devriez m’entendre lorsque je vous dis que les jamures vous attendent. Dans notre intérêt commun, je vous demande de reconsidérer votre plan. Regardez, il se trouve une autre voie. Ici. » Il pointa à nouveau la carte.
« Là ? Vous déraisonnez. Ce défilé est un véritable coupe-gorge !
-Justement. Personne ne s’attendra à vous voir l’emprunter. »
La mâchoire du duc se serra instantanément. Pourtant, son regard se porta au loin.