Après avoir échappé de justesse à la mort lors de son dernier voyage en bateau, voilà que la mer se déchaînait pour son grand retour à Kopangne. Le monde entier s’élevait de plusieurs mètres avant de s’ouvrir sous ses pieds, laissant à son cœur le soin de prendre un retard malvenu. Son palpitant remontait dans sa gorge, y stagnait de trop longs instants, puis retombait au fond de ses entrailles. Ses jambes, coupées au même moment, refusèrent définitivement de le porter. Et bientôt, Carmin s’abandonna au gré des vagues géantes et des remous du navire. Il glissait désormais de haut en bas, de gauche à droite, sur le sol trempé par l’eau qui s’infiltrait de plus en plus.
Sa main se referma sur une corde accrochée à l’un des piliers de la cale. Ses doigts refusèrent de lâcher cette lueur d’espoir tandis que le reste de son corps poursuivait sa danse saccadée. Se demandant ce qui avait bien pu le pousser à entrer dans cette boîte flottante peu avenante, il se rassura en découvrant la situation de la silencieuse, de l’incorruptible, de la fabuleuse soldate du roi. Tout comme lui, la vaillante Varnille n’en menait pas large dans cet enfer humide. Plus pâle que jamais, son visage se crispait en un faciès de lutte et de concentration.
La voir ainsi, dans une posture si peu digne, aurait pu le faire rire, aurait dû le faire rire. Cependant, le fait de partager son calvaire avec encore moins d’assurance tuait toute tentative de trait d’esprit. Carmin fronça les sourcils. Il devait pourtant réagir, sa réputation et l’honneur de Soupetard entraient en jeu. Quelque chose sur ses cheveux mouillés peut-être ? Ou ses lèvres crispées ? Ou bien ses dandinements pour conserver sa stabilité ? Ah, voilà ! Il venait de trouver la cible parfaite. Et, alors qu’il ouvrait la bouche, une gerbe d’eau lui gifla la joue avant de s’engouffrer entre ses dents.
Ses toussotements et ses tentatives de recracher le sel et l’écume ne déridèrent nullement Varnille, qui resta parfaitement concentrée pour garder son assise. Carmin maugréa quelques mots à l’intention du dieu du jeu et de la farce, visiblement plus intéressé par la femme que par son dévoué serviteur. Ou alors, d’autres forces entraient dans l’étrange danse qu’il subissait depuis trop longtemps maintenant.
Lui qui ne rêvait que de s’amuser un peu et de tranquillité, il se retrouvait plongé dans une drôle d’aventure au milieu des puissants de ce monde.
Ce calme auquel il aspirait tant surgit contre toute attente, durant une interminable et pourtant trop courte seconde. Le bateau craqua en un hurlement qui surpassa les grondements de la mer en colère. La coque se rompit sous un impact et projeta Carmin vers des cieux anormalement venteux. En un clignement d’œil, la cale se sépara en deux pièces distinctes et déversa son contenu en tout sens.
Une dernière vague avala le farceur arrosé.