Parfaitement immobile, la soldate le fixait avec une étrange attention. Nulle animosité ne se lisait dans son regard, ni hésitation ni impatience. Elle maîtrisait la situation dans son ensemble, sans pour autant écraser son prisonnier de sa supériorité. Carmin ne s’y trompait pas. Aucun lien ne nouait ses mains, mais sa condition ne laissait pas de doute. Si ce n’était son immuable gardien, il aurait presque pu se sentir chez lui. Confortablement installé sur une chaise, devant une table où l’attendait une corbeille de fruits, il aurait simplement pu se lever et quitter la pièce. La voie de sortie se trouvait même derrière lui. Et pour sûr, personne ne devait la surveiller. Personne, excepté Varnille, face à lui. Si loin et pourtant si proche.
L’ouverture de la porte le fit sursauter. Son attention était tellement orientée vers la femme que son environnement avait disparu. Il n’osa pas se tourner pour découvrir qui brisait ainsi sa plaisante matinée. La brusque levée de la soldate le lui indiqua assez clairement.
Le roi referma derrière lui, traversa la pièce et vint se placer face à la fenêtre. Il inspira profondément, les mains jointes dans son dos. Les secondes se prolongeant, Carmin osa timidement : « Que me vaut le plaisir, Votre Majesté ? »
Le souverain abandonna son observation et se tourna vers lui, le sourcil relevé. Un sourire crispé étira ses lèvres puis disparut, laissant place à un visage avenant.
« Avez-vous faim, monsieur ? Prenez donc une pomme. » Le roi s’avança et poussa la corbeille jusqu’à son invité forcé, avant de s’asseoir à demi sur la table. « N’ayez crainte, elles ne sont pas empoisonnées. Non, vraiment ? Dommage pour vous, elles sont excellentes. »
Renouille se redressa, retourna à la fenêtre et reprit sa position. Une fois de plus, le temps s’allongea. Il laissait le soleil lui réchauffer le visage pendant que Varnille se tenait non loin de la table, détendue.
« Venons-en au fait, voulez-vous, imposa le roi. » Il prit place face à Carmin. « Je sais que vous travaillez pour le duc Guaal, que vous détournez mes messages et qu’il en profite pour modifier mes ordres et permettre aux jamures de percer mes lignes. Il cherche à saper mon autorité pour prendre ma couronne. Et dernièrement, vous avez déclaré que mon fils devrait monter sur le trône. Comprenez que si vous, un étranger, tenez de tels propos, ma cour s’en nourrira d’autant plus. » Il inspira profondément et posa ses mains à plat. « Voyez-vous monsieur, je pense que vous avez été manipulé. Ai-je raison ? »
-Ah, c’est à moi, se réveilla Carmin en se pointant du doigt ? En toute honnêteté, j’ignore de quoi vous parlez. Euh, votre honneur. Seigneur, conclut-il en se rattrapant au mieux.
-Je vais vous le dire. Je sais que vous jouez à un jeu, dangereux de surcroît. La preuve en est votre langage. Quand avez-vous abandonné les rimes ? » Le roi savoura sa victoire en laissant à Carmin le soin de réaliser son erreur. « Je dois avouer votre talent. La farce dont vous m’avez affublé mérite d’être saluée. La plaisanterie était certes douteuse, voire banale, mais l’application relevait d’une certaine maîtrise. » Carmin hocha la tête. « Aujourd’hui, je vous propose d’affronter vos actions. Vous semblez vous amuser de toute cette situation. Mais réalisez-vous que des milliers d’hommes sont morts pour vous distraire ? Chaque messager que vous avez volé englobe des centaines de vies. Les villages pris par les jamures fument aujourd’hui, leurs flammes nourries par les femmes et les enfants tués sur place. »
Carmin serra la mâchoire, le regard grave.
« Bien, je vois que vous comprenez. Cette plaisanterie a assez duré. Je suis prêt à pardonner vos erreurs passées, car nous avons une chance de trouver le réel artisan de cette situation, et non Guaal, son pantin. M’y aiderez-vous, ou dois-je considérer votre silence comme un refus ? »