Bien chez soi

Confortablement installé dans son hamac, les pieds caressés par les herbes hautes, Allir écoutait paisiblement les vagues s’écraser sur les récifs en contrebas. Par moments, la brise s’éveillait, et venait glisser entre les feuilles des palmiers qui le soutenaient. Leur chant, étrange mélange de claquements et de tintements, lui rappelait qu’il était bon de retourner chez soi de temps à autre. De profiter d’un instant de vie, sans projet ni obligation. Du simple bonheur de jouir de la seconde, de la laisser s’étirer à l’infini, et d’inspirer profondément, les épaules vides de tout poids, de toute considération.
Malheureusement, envisager ce fait raviva en lui l’existence d’un monde bel et bien réel hors des plages de sable fin et des falaises qui délimitaient sa propriété. Ses souvenirs, qu’il s’entêtait à taire, à jeter à des lieues, à noyer au tréfonds de la mer, revinrent l’assaillir, lui rappeler son échec.
Malgré ses efforts, sa vivacité d’esprit et ses diverses connaissances, Allir n’avait pas su trouver la solution à l’énigme, contrairement à d’autres.
Après que l’archilleur ait touché la clochette posée sur le comptoir de l’auberge des charades, véritable repaire d’amateurs de devinettes et de vastes plaisanteries, le maître des lieux était apparu depuis les profondeurs d’un sous-sol. Pour en avoir côtoyé un certain nombre, Allir avait reconnu en cet homme le regard lointain et curieux d’un magicien. Cela expliquait en partie l’extravagance qui régnait entre ces murs. Toutefois, il ne s’était pas trop attardé sur la question, préférant demander, plein de doutes et de scepticisme, si monsieur Guergean se trouvait ici.
« Désolé pour vous mon brave, avait répondu l’aubergiste, l’un de vos amis est déjà venu le chercher voilà deux jours. »
Véritable âme en peine, Allir avait baissé les bras, s’était détourné de son interlocuteur, puis avait commencé à partir, glissant entre les tables.
« Pourriez-vous prévenir vos camarades, s’il vous plaît ? Je ne me lasse pas des visiteurs, mais vous êtes déjà le dixième depuis ce matin à venir me quérir pour cela. »
Sans un mot de plus, le premier homme à avoir foulé le sol d’une cité volante avait quitté Montcallord. Il avait décidé d’oublier toute cette affaire, et peut-être le reste. Après tout, grâce aux richesses accumulées lors de ses fouilles, acquises par de juteux contrats et son art du négoce, Allir possédait une île pour lui seul, et Voliette bien sûr, qui aimait nager dans les eaux alentour. Son bout de terre et de sable lui fournissait plus que nécessaire en fruits et poissons. Quelques légumes survivaient bien à ses longues absences. Si une denrée ou un petit plaisir venait à lui manquer, il rejoignait les côtes en quelques battements d’ailes. En soi, l’archilleur avait bien mérité un peu de repos. L’heure de sa retraite avait probablement sonné.
Le soleil qui perçait jusque-là timidement les feuilles des palmiers environnants se voila brusquement. Le temps se gâtait-il ? Ou le jour s’achevait-il déjà ? Un bruit sourd et répété, régulier, parvint finalement à ses oreilles. Curieux, Allir ouvrit bientôt les yeux et découvrit Voliette en vol stationnaire juste au-dessus de lui. Il comprit que quelque chose se tramait au regard courroucé de la dragonne.
Sans crier gare, elle lui cracha, non des flammes, mais une quantité impressionnante d’eau de mer, qui l’assomma presque sur le coup.


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