Le vent tourne

L’odeur de la guerre imprégnait l’air, même si loin des champs de bataille. Le tremblement continu de la terre sous les pas de ses milliers de cavaliers, la tension qui électrisait l’atmosphère, le désir de sang et l’esprit de vengeance face à l’ennemi ancestral. Tout cela formait un bouillon dont le duc aspirait à se délecter depuis longtemps déjà. Quand, et pourquoi avait-il abandonné son élément pour se perdre dans la mélasse du gouvernement ? Et au profit du roi de surcroît ! Enfin, ce jour marquerait un tournant dans l’Histoire.

Ses mains gantées et ferrées se serrèrent sur les rênes. Il espérait presque rencontrer les jamures dans ce défilé abrupt, au risque de voir davantage de ses hommes tomber, que de compter un jour de plus avant de les affronter.

Malgré le bruit de la colonne, une chute de graviers attira son attention, là, quelque part sur sa droite. Guaal leva les yeux à la recherche d’un quelconque mouvement derrière les plus hauts rochers. Mais rien, pas une ombre. Il abandonna donc son observation pour se tourner vers Yarflel. Le llormien revêtait une armure traditionnelle de son archipel, toute d’argent étincelant. Un large tissu turquoise enserrait son ventre et formait une croix sur son torse. Un voile similaire maintenait son casque en passant sous son menton. Son arsenal se composait d’un sabre courbe, d’un arc court et d’un trident pointé vers le sol. Équipé ainsi pour les batailles à venir aurait dû rassurer le duc. Il se montrait ainsi prêt à se battre. De plus, il lui avait promis que ce chemin était sûr. Or, les défilés ne pouvaient jamais être considérés comme tels. Aucun homme ne survivrait à une attaque dans un pareil lieu, Yarflel inclus. Et s’il venait à le trahir, il se ferait une joie de le lui faire regretter. En somme, son conseiller étranger ne verrait le lever d’un autre jour qu’en cas de succès. Et le duc de Kopangne savait qu’ils partageaient ce point de vue. Pourtant, un élément, un murmure, lui dictait de se méfier.

Le llormien sourit, plein de confiance, alors qu’une nouvelle chute de gravats susurra à son oreille, rapidement étouffée par un puissant fracas vers l’arrière-garde.

En se retournant, Guaal découvrit des roches dévalant les hauteurs pour venir s’abattre violemment sur ses hommes. D’instinct, il empoigna son épée et la tira au clair. La brandissant au-dessus de sa tête, il ouvrit la bouche pour annoncer à tous d’avancer. Mais ses yeux découvrirent Yarflel qui l’observait, toujours serein.

« Vous n’étiez pas assez fort, déclara-t-il.

« Que que que… yaaah, hurla le duc pour toute réponse ! » Sa lame trancha en diagonale et pénétra la chair. La monture du llormien tomba sous le coup. Son propriétaire avait disparu dans un souffle. Il releva son arme pour achever son ordre, avant de maudire les jamures pour la pluie de flèches qui assombrissait le ciel.