Varnille se réveille

Ses sens lui revinrent à mesure que sa conscience s’éveillait. Le froid ambiant et l’humidité, rapidement rejoints par la dureté du support sur lequel s’appuyait son dos, provoquèrent un frisson qui transperça son corps de toute part. À la lourdeur de ses membres et le sentiment d’enfermement de son crâne s’ajouta subtilement une douleur cuisante sur le flanc. Les traits de son visage se crispèrent sous l’influence de l’imagination. Ses yeux refusèrent pourtant de s’ouvrir. Il était encore trop tôt. Une douce chaleur s’éveilla bientôt. Les crépitements d’un feu s’immiscèrent dans ses oreilles alors qu’elle en cherchait mentalement l’origine. Le murmure d’un vent léger se mêla aux râles d’agonie des vagues se fendant sur le sable et les rochers. Ainsi, remarqua-t-elle péniblement, la mer se trouvait non loin. L’odeur chargée d’iode qui régnait le lui prouva en s’engouffrant dans ses narines. La lumière nocturne parvint enfin à s’insinuer entre ses paupières.

Un spectacle de désolation se présenta à elle. Le bateau, ou ce qu’il en restait, s’éparpillait sur des centaines de mètres. Un morceau du mât principal traînait sur la plage. Une grande partie de la coque demeurait prisonnière des rochers dentelés. Par-ci par-là, un tissu voletait au vent. Plus loin, les ombres voilaient l’horreur de la réalité. Ils avaient fait naufrage.

Elle inspira péniblement. Au moins la vie ne l’avait pas abandonnée. Délicatement, Varnille voulut se redressa pour s’assurer d’être entière. Avant qu’elle le puisse, des voix s’élevèrent. Un homme quitta un cercle formé autour du feu et s’approcha.

« Vous vous réveillez, parfait. Enfin une bonne nouvelle ! Comment vous sentez-vous ?

-Je…gr…ar. » Sa bouche asséchée refusa d’articuler davantage.

« Attendez, ne parlez pas. Les gars, hurla-t-il à l’attention des autres marins, apportez-moi de l’eau. Plus vite que ça ! » Un instant s’écoula puis : « Tenez, voilà. Doucement. »

Varnille accueillit le breuvage tiède comme une véritable bénédiction. Le flux inonda sa bouche et se propagea dans tout son corps. Puis il lui fut arraché.

« Doucement, doucement, déclara le marin avec bienveillance. Ne buvez pas si vite, vous vous sentiriez mal. Et je suis désolé, mais nous ignorons encore où nous nous trouvons. L’eau est peut-être une denrée rare ici.

-Nous devons être sur le continent, capitaine. Nous verrons sans doute un village demain matin.

-C’est possible, mais en attendant d’en être sûr, nous allons devoir vivre de nos maigres réserves. »

Varnille acquiesça, puis se souvint : « Et l’homme qui m’accompagnait ? Avez-vous vu l’homme qui m’accompagnait ?

-Non, madame. Certains de mes hommes jurent qu’il les a tirés hors de l’eau, mais depuis aucun signe de lui.

-Il s’est enfui ! » Elle serra les dents, se maudissant pour l’échec de sa mission. Enfin, avec ou sans lui, Guaal lui révélerait toutes les informations dont elle avait besoin.

« Ce que vous dites me heurte profondément ma chère. » D’un pas aussi léger que possible en considérant le sable et ses blessures apparentes, Carmin émergea des ombres de la nuit et pénétra dans le cercle orangé. Ses doigts enserraient une bouteille. Ses vêtements se trouvaient en piteux état, excepté le cuir rouge qui protégeait ses épaules. « Moi qui ai sorti tant d’hommes inconscients de cette épave avant de fouiller les décombres, allant jusqu’à me tremper jusqu’aux os, en quête d’alcool pour votre plaie. Et tout ce que je reçois en remerciements, ce sont des doutes. J’ignore si je m’en remettrais. »