Le couloir

Le cœur agité, les yeux brouillés par la sueur, la guerrière comprit pourquoi la rage s’était tue, pourquoi sa flopée d’ouailles avait cessé de crier sa peur, de l’implorer. Sur les dalles bleutées du vestibule démesuré, l’armée au complet d’Ourkess lui faisait face. Formée de deux milliers de colosses, au bas mot, elle apparaissait à la fois fabuleuse et ridicule, massée, serrée de la sorte, écrasée par les épais piliers lissés par les âges. Toutefois, Mazy escomptait de la voir plus chargée. Le dieu de la guerre amalgamait-il plusieurs âmes pour créer ses soldats ?

Cette idée la mit hors d’elle. Si cela s’avérait exact, alors il se moquait de ceux qu’il accueillait. Il les déformait, les défigurait pour les métamorphoser. Pour que le glorieux s’efface.

Elle serra le bois de sa hache, puis se rappela sa propre place. Là, face à l’armée d’Ourkess. Le dieu, lui, se trouvait juste derrière cette horde, le visage crispé par la rage. Mazy sourit à l’idée de lui déplaire. Si elle périssait ce jour, elle pourrait se réjouir d’avoir agacé l’immortel qui lui avait toujours craché dessus.

Cela dit, la guerrière refusait de baisser les bras. Même face à cette impasse, elle devait préparer la meilleure approche, peut-être la seule.

Tous les tuer paraissait irréalisable. Cela la blessa, mais elle l’accepta. Morte, impossible d’arrêter Ourkess. Mazy laissa l’air se faufiler hors d’elle. Puis la rallier. Face à elle, l’armée la provoquait. Déjà elle s’activait.

Faire tomber les piliers et tout voir s’écrouler ? Trop d’adversaires. Qui l’autoriserait à accéder à toutes ses cibles ?

Alors que la multitude de colosses marchait vers elle, la demi-déesse rejeta la réalité. Ce mur paraissait impérissable. Trop solide, même pour sa force accrue. Elle serra les mâchoires, prête à se jeter à corps perdu et amorcer la bataille, quitte à la perdre.

Elle osa l’ultime coup d’œil vers Ourkess, puis se ravisa. Les lèvres étirées par le plaisir, elle approuva le caractère ridicule de cette idée. De cette folie.

« Garguyme, elle est pour toi celle-ci, murmura-t-elle.

– Je compte sur toi, lui souffla l’écho du chaos. »

Mazy hurla de défi, et courut face à la mort. Plus vite, toujours plus vite, avec pour seul désir celui de tailler la masse, de défricher les membres et structurer le couloir qui la guiderait vers Ourkess.

Le choc fut explosif. Déjà sa lame traversait la chair. Le métal vola, le bois éclata et la douleur s’éveilla. La guerrière esquivait au mieux, parait puis frappait pour tuer. Pas le temps de jouer, pas le loisir de profiter de la bataille, elle devait creuser sa voie. Progresser. Esquive, elle prit le colosse le plus proche et l’utilisa comme couvert. Elle lui raccourcit le bras et lui arracha le bouclier qui y était accroché. Parade, esquive. La première blessure tomba. À l’épaule. Peu importait, Mazy serra les mâchoires et poursuivit. Elle frappa. Attaque de biais, coup de tête. Elle usait de toutes les ruses. L’image du sourire d’Ourkess, ou plutôt celle de sa face décomposée par la surprise de la voir au cœur même de sa demeure, habitait ses rêves de victoire.

Le poids des colosses se faisait plus lourd, plus ardu à repousser. Toutefois, la demi-déesse garda le cap. Toujours sa lame ouvrait la voie au liquide vital de ses adversaires. Cri de rage. Cri de défi. Cri de détresse. Le combat se poursuivit. La deuxième blessure apparut, à la cuisse cette fois-ci.

« Raaaaaaaaaah ! » hurla Mazy.

Le coup qu’elle offrit après cet excès de colère projeta trois colosses vers la voûte et souffla les autres sur deux mètres.

Voilà qui promettait. Elle regarda ses doigts serrés sur le bois de la hache, puis sourit à l’égard du dieu de la guerre.

« Bouge pas, souffla-t-elle, j’arrive. »

 

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