Céder en finesse

Suite au chapitre précédent, j’ai proposé aux lecteurs qui me soutiennent sur ma page tipeee de voter pour aider Chaltan à choisir s’il cédait, ou non, à la curiosité. Et si oui, en finesse ou en s’affichant clairement. Voici donc où ce sondage nous a menés.

Les yeux fixés sur les branches qui venaient d’avaler son ami, Chaltan serrait les mâchoires. Devait-il suivre Vélor dans cette forêt ? Une part de lui voulait le laisser tranquille, libre de découvrir Feltune à sa façon. Pourquoi dans ce cas n’y parvenait-il pas ? L’air s’échappait puissamment de sa truffe chaque fois qu’il se décidait à tourner les talons pour poursuivre sa visite. Irrépressible, le sentiment de manquer un événement important l’empêchait d’agir en ce sens. Sans compter les feuilles qui ne cessaient de bouger, comme pour l’inviter à suivre le même chemin que le goéland.

Craignant de trahir le seul autre survivant de l’équipage, Chaltan inspira profondément en fermant ses yeux le plus fort possible et fit un pas en avant, puis un autre, et encore un autre. La porte de la curiosité franchie, le marin rouvrit les paupières et progressa rapidement jusqu’à la barrière végétale. Dès lors, son choix s’affirma dans son cœur, plus solide qu’un mur d’enceinte, inébranlable. Ses doigts saisirent sa capuche avant de la relever. Dans ses atours bleu vert, la forêt entière devenait son manteau.

Entouré par les arbres, Chaltan puisa dans ses sens pour retrouver la trace de Vélor. Le goéland et son guide marchaient sans précaution. Leurs pas résonnaient aux oreilles du chat, qui se lança aussi discrètement que possible à leur poursuite. La traque ne dura guère longtemps, tant ses proies évoluaient paisiblement le long d’un chemin presque effacé. Ils n’échangeaient aucun mot, progressant l’un à la suite de l’autre. L’attention de Vélor se portait davantage sur les cimes environnantes que sur sa prédécesseure. Chaltan doutait de plus en plus de sa première théorie. Cette escapade ne ressemblait en rien à une entrevue romantique.

Se faufilant entre les arbres, prenant garde d’éviter les branches mortes et les brindilles sèches, le chat bleu, accompagné par une odeur qu’il ne parvenait pas à reconnaître, poursuivait sa filature dans une forêt de moins en moins accueillante. Le chant des oiseaux s’étiolait, la verdure se ternissait, les feuilles se muaient en poussière à son passage. Ici et là, des arbres avaient chuté, leurs racines créant des trous béants dans le sol. À côté de ces troncs couchés, Chaltan se sentait bien petit, plus encore que lorsqu’ils se tenaient debout, fiers et majestueux.

Vélor et son guide ne tardèrent plus à se rapprocher d’un bassin naturel grignoté par du lierre mourant.

– C’est ici ? s’enquit le goéland.

Enfin, celle qui accompagnait l’oiseau de mer releva sa capuche, révélant les traits connus d’une martre au port royal. La princesse Viguette opina avant de dégager les feuilles et les branches qui étouffaient le bassin. Chaltan eut la satisfaction de voir que son intuition s’avérait : Vélor s’était bel et bien laissé entraîner par une femme. La surprise, en revanche, le secoua en constatant son identité. Elle plongea les mains dans l’eau pour en puiser une petite quantité qui s’écoula, noire, entre ses paumes.

– C’est ainsi que le phénomène a commencé, déclara tristement la princesse. L’eau s’est peu à peu assombrie, puis ce fut le tour de l’herbe qui ceignait le bassin. La forêt se meurt.

– Vous pensez sincèrement que ceci peut la sauver ?

Chaltan sursauta lorsque Vélor tira de son manteau le cristal magique du navire. Dans sa surprise, le chat bleu bougea si soudainement qu’une branche craqua, attirant l’attention des deux interlocuteurs. Un fragment de seconde plus tard, une lame relevait son menton, le forçant à se révéler aux yeux de tous. Il salua maladroitement Vélor avant de chercher du coin de l’œil qui le menaçait.

– Parse, évidemment, grogna-t-il, vaincu.