Un vent puissant au-dessus d’une mer calme. Chaltan n’aurait pu rêver meilleures conditions. Accoudé au bastingage, l’embrun inondant son visage, le marin admirait les murs de Prattel, sa cité natale, qui se dessinaient sur l’horizon. Dans cette masse encore indistincte, il trouva sans mal le port où se dressait sa maison. Cette demeure, autrefois bicoque branlante, aujourd’hui retapée au mieux de ses capacités, abritait sa femme et ses enfants qui, peut-être, n’espéraient plus son retour. Son passage à Feltune lui avait fait perdre la notion du temps. Avait-il traîné là-bas plus que nécessaire ou était-il resté dans les délais de l’aller-retour prévu initialement ? Quoiqu’il en fut, Chaltan n’était plus le même.
Parti chef mécanicien d’un navire volant, il revenait certes chargé d’un sac d’or, comme promis par le roi larvien, mais aussi seul, sans emploi et alourdi d’une révélation qui changeait sa vision du monde. Ce que lui avait dévoilé la princesse Viguette à la suite de sa filature ratée balayait tout ce qu’il percevait de l’avenir. Les fondements de sa vie et de celles de milliers d’âmes tremblaient désormais sous le poids d’un terrible secret. Prattel n’en brillait plus aussi fort à ses yeux, assise qu’elle était sur un pouvoir destructeur. Naturellement, Chaltan regarda ses propres mains, se demandant à quel point elles avaient participé à cette déchéance. Seul le bien-être de sa famille l’empêchait de tout laisser tomber.
Si cela n’avait tenu qu’à lui, Chaltan aurait déjà tourné le dos à son ancienne vie, sans pour autant se lancer dans la croisade de la princesse, comme semblait l’avoir décidé Vélor. Cette question demandait encore réflexion. Pour autant, il ne priverait pas les siens d’un avenir, même si cela impliquait d’accroître la dégradation de la planète. Oh, il comptait bien leur parler, partager et défendre son point de vue. Seulement, sa femme et ses enfants avaient autant le droit à la parole que lui. Ensemble, ils trouveraient la meilleure solution. Ou du moins, celle qui leur conviendrait le mieux. La guerre qui s’annonçait les forcerait-elle à prendre position ? Une autre voie existait-elle ?
Chaltan se détourna sèchement de son observation pour chercher du regard le capitaine de ce rafiot étonnamment confortable. De prime abord, le chat bleu n’aurait jamais cru qu’il tiendrait en haute mer. Désormais, il lui faisait toute confiance. Le larvien repéré, le félin marcha droit vers lui, bien décidé à gagner une place dans les manœuvres prochaines. Le temps passerait d’autant plus vite et son esprit s’en trouverait intelligemment occupé.