Le cœur

Le cœur battant, les yeux écarquillés et le souffle court, Aljère refusait de croire ce qu’il venait de se passer. Il déglutit péniblement, l’esprit à des lieues de la réalité. Il tentait de retracer les dernières secondes avec une frénésie avide de repères fiables. La main posée contre le mur, comme ancrée à une surface toute tangible, l’archilleur se rappelait de l’expression de son homologue, à la fois amusée et concentrée. Aljère revit Allir enfiler un anneau, puis prononcer quelques mots étranges, son visage se crispant sous l’effort. Il l’avait ensuite attrapé au col, tourné sur place, avant de le propulser au-dessus du vide. Aljère n’avait réellement compris qu’il se trouvait à de trop nombreux mètres du sol qu’à l’instant où il pénétrait dans le bâtiment de l’autre côté. Il regarda un instant ses jambes tremblantes.
« Là ! hurla un garde au bout du couloir. Tu vois que j’avais entendu quelqu’un crier. Ne bougez pas ! »
Allir fit soudainement son entrée par le même chemin qu’Aljère, tandis que le mercenaire dégainait son épée d’un air menaçant. L’archilleur ôta son anneau, sourit en l’observant, puis se tourna vers la maison qui les avait accueillis, fier. Il avait les traits tirés et le visage légèrement blanc. Aljère s’avérait incapable de maîtriser la magie, n’y ayant pas été formé, mais il n’ignorait pas qu’elle puisait fortement dans les réserves de son utilisateur.
« Je t’avais bien dit que ça marcherait, souffla Allir. Sans compter que pour la discrétion, on ne fait pas mieux.
– Non, tu ne me l’avais pas dit. Tu as même été plutôt silencieux au sujet de ton plan. Surtout que… poursuivit Aljère en pointant les deux gardes du doigt.
– Alerte ! hurla l’un d’eux. Des intrus. »
Les deux archilleurs croisèrent leur regard avant de s’enfuir à toutes jambes. Sourds aux injonctions de leurs poursuivants, et à la possibilité que le sol se dérobe sous leurs pas, ils couraient dans les couloirs arrondis, fissurés, tristes. Après tout, le bâtiment avait tenu jusque-là, il continuerait de le faire pour quelque temps encore. N’est-ce pas ?
Avec une vague idée du chemin à suivre pour atteindre leur destination, celle qu’ils pensaient abriter le cœur d’Avizaar, les deux fuyards prirent sur leur droite, puis à gauche et encore à gauche. La voie s’étira alors sur une vingtaine de pas.
Les bruits de leurs poursuivants s’intensifiaient, tant à cause de leur proximité que de leur nombre. Allir et Aljère se faufilèrent sur leur droite, craignant de plus en plus de se perdre dans ce lieu trop peu connu. Pourtant, à quelques pas de là, alors que l’arrondi des murs la leur cachait, ils parvinrent à destination. Du moins le pensèrent-ils au vu des deux gardes stationnés devant une porte. Les archilleurs tirèrent leur épée en même temps que leurs cibles. Mais Allir fit signe à son confrère de ralentir. Muni de son premier anneau, lui-même força l’allure. Arrivé à un mètre d’eux, il se couvrit d’une couche de pierre et fondit sur les deux hommes.
La violence du choc les assomma sur le coup. Satisfait du résultat, il s’engouffra dans la pièce et eut l’assurance d’avoir trouvé la bonne. En son centre se tenait fièrement le pilier dessiné dans le livre qui lui avait permis de déchiffrer le secret des cités volantes.
Allir laissa entrer Aljère, puis referma la porte derrière lui et, puisant dans son énergie, la renforça d’une épaisse couche de pierre. La main posée sur la roche, il tira sa flûte et la confia à son confrère. Il lui restait une dernière chose à faire, une action qui l’épuiserait sans doute, et qui l’empêcherait de jouer la nouvelle mélodie. Pour parvenir à leur fin, Allir devait abandonner l’ultime tâche à Aljère, lâcher prise, et croire en sa bonne foi.
Puisse-t-il ne pas le trahir maintenant…

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