Une telle proposition laissait Allir dubitatif. Les deux coudes vissés sur la table, le sourcil gauche redressé, l’archilleur balaya la salle du regard. Visiblement, ses potentiels concurrents se trouvaient, eux aussi, plongés dans les affres du doute. Rien d’étonnant. Tous avaient eu droit au même discours, à la fois simple et clair, et pourtant si obscur. Trop de questions demeuraient sans réponse, trop d’éléments n’apparaissaient qu’en esquisse sur le tableau dépeint. Cet homme, qui se tenait au centre de la pièce comme un chef d’orchestre, agitait d’une main monts et merveilles tout en voilant l’autre sous le manteau du mensonge.
Toutefois, Allir dut reconnaître que ce savant mélange excitait sa curiosité et son orgueil. Cet inconnu maîtrisait aussi bien les mots que le suspens. Il en avait dit suffisamment pour tous les ferrer, et pas assez pour les satisfaire. Pourtant, ni les uns ni les autres ne se risquaient à approfondir le sujet. Naturellement, le premier des archilleurs se fit un point d’honneur à combler leurs lacunes.
« Excusez-moi, amorça-t-il d’une voix pleine de fierté. Si je peux me permettre, j’aimerais résumer la situation. Autant pour moi que pour mes confrères.
– Je vous en prie, monsieur Journan.
– Vous… me connaissez ?
– Qui ignore le nom de celui qui a ouvert la voie à tous ? ironisa leur hôte. Oh, mais votre nom demeurait peut-être un secret ? Si c’est le cas, veuillez me pardonner de l’avoir révélé ainsi, et ici. »
Le sourire qui lui étira les lèvres déplut à l’archilleur. Les connaissances de cet homme dépassaient la simple curiosité.
« Vous vous apprêtiez à me poser une question. »
Allir déglutit péniblement, titillé par un mauvais pressentiment.
« Effectivement. »
Il était hors de question de se laisser impressionner ainsi. Si cet étranger voulait jouer, qu’il s’apprête à danser.
« Vous vous intéressez donc aux mystères des cités volantes, reprit finalement l’archilleur. Pour cela, vous vous êtes acoquiné avec un mage, ce qui selon moi était déjà une mauvaise idée. La preuve étant qu’il vous a ensuite abandonné. ‘’ Quelle surprise ‘’, diraient certains. Mais là n’est pas la question. Le fait est que votre associé a disparu. Donc soit ses recherches lui ont valu des problèmes, du genre définitifs, soit il s’est enfui avec des informations. Vos informations. Ai-je oublié un quelconque élément ?
– Votre résumé tient la route, conclut son interlocuteur.
– En quoi notre présence est-elle nécessaire, dans ce cas ? Si c’est un homme que vous cherchez, embauchez donc un chasseur de primes. Il se fera un plaisir de vous le ramener, dans l’état que vous désirerez. C’est une vision un peu triste, mais chacun son métier. Et même si certains ici sont prêts à tout accepter pour un juste prix, je tiens à vous avertir que d’autres sont plus scrupuleux. Hey, hey, s’alarma-t-il face au brouhaha qui naquit dans la salle, je respecte le choix de chacun. Il n’y a pas de honte à vouloir gagner son pain. Je dis simplement que, pour ma part, et je sais avoir du soutien en ce sens, le salaire ne fait pas tout.
– Je suppose que cela à un rapport avec votre dernière visite à Méaknar. »
Les mâchoires d’Allir se crispèrent instantanément. Cet homme savait aussi pour sa récente déconfiture. Pourtant, Monjrau n’aurait jamais trahi sa confiance. Ce qui signifiait que son opposant disposait de sources d’informations très précises, et les moyens de les payer. Loin de se laisser abattre, il écarta largement les bras tout en se levant.
« Pour information, je ne suis pas dans le besoin. Il vous faudra plus qu’une bourse bien remplie pour nous attirer, mes camarades archilleurs et moi-même. Alors, de quoi parlons-nous réellement ? »
Allir défia l’étranger du regard, campé sur ses poings, et attendit sa réponse.