La désolation de Méaknar

L’étrange forme que prenaient les bâtiments ne le dérangeait plus autant que les premières fois. Comme autant de gardiens privés de jambes, et souvent de bras, ils revêtaient des apparences de créatures oniriques. Aux pièces principales arrondies s’ajoutaient ici ou là un cou haut de plusieurs étages, puis une tête totalement sphérique. Des bulles de verre occupaient alors la place des yeux. Avec un peu d’imagination, les visiteurs pouvaient même voir des expressions sur ces visages gonflés. Des tours s’élevaient par endroits dans la cité, jouant le rôle de soldats au garde-à-vous, leurs bras si serrés le long du corps qu’ils disparaissaient totalement. La plupart portaient des colliers ou des ceintures pour rompre la monotonie du tube ainsi bâti. Leur regard curieux s’ouvrait sur l’horizon.
Le rêve s’achevait pourtant dès le premier pas. Partout la pierre et les gravats jonchaient les rues. Le lierre et autres plantes grimpantes couvraient les murs arrondis, se faufilaient par les fissures ou les gueules béantes créées par les éboulements. Les vitres, brisées, ne reflétaient plus la lumière du soleil depuis des lustres, tant la poussière les mangeait avec ténacité. La vie avait quitté les lieux tant de générations auparavant que seule la désolation régnait sur Méaknar, et toutes les autres cités volantes.
Voilà justement ce qui avait attiré Allir dans ce domaine : les questions qui dérivaient dans l’air de cette ancienne civilisation. La compréhension de cette magie, le pouvoir incommensurable qui permettait aux villes de flotter dans l’infinité du ciel. Et la raison de leur fin tragique. Ça, et l’or qu’offraient les plus aisés pour des souvenirs fonctionnels.
À cette pensée, il se frappa le torse et pointa le doigt vers le haut, de fierté. Il pillait, certes, mais avec l’aplomb et la soif de connaissances des grands archéologues. Appartenir à la caste des archilleurs demandait plus que du courage et le nez pour dénicher les trésors. Il fallait de la curiosité, un goût prononcé pour l’effort, et l’appétit du passé. Toutefois, et malgré ses nombreuses découvertes matérielles, les cités lui refusaient leurs secrets. En attendant, il continuait de ramasser des statues et objets du quotidien pour les chercheurs assez fortunés pour se payer ses services. Les puissants et les nobles acquerraient évidemment les plus belles pièces, accompagnées des trouvailles magiques toujours gorgées de pouvoirs.
Personne n’avait encore compris comment fonctionnaient les lanternes activables grâce à la simple pression d’un bouton, les boîtes musicales aux rythmes étrangers, ou les petits véhicules à trois roues. Quoique ces derniers se vendaient moins bien qu’auparavant. L’énergie contenue dans ces artefacts semblait limitée, épuisable. Les riches désireux de s’afficher en panne au milieu de la rue se raréfiaient. Fort heureusement, les golems inanimés continuaient de créer un engouement certain.
Errant dans Méaknar, Allir s’attristait de voir toutes ces portes largement ouvertes, ces maisons déjà pillées de fond en comble, souvent sans la considération qui leur était due. Ainsi, son propre courage, ou son irrespect des lois, avaient poussé d’autres curieux à abandonner les anciennes tours de mages pour investir les cités volantes, et vider les lieux.
Son corps tout entier se figea alors qu’un bâtiment relativement intact se présentait à lui, toujours inviolé. Curieux autant que dubitatif sur l’intégrité de l’habitation, l’archilleur s’approcha, le visage marqué par l’incompréhension. Après un tour rapide, aucune faille, aucun éboulis ni trou béant ne permettait d’entrer. La chance lui souriait-elle ? S’il avait retenu une vérité lors de ses nombreuses expéditions, c’était de se méfier des apparences. Cette bâtisse paraissait trop belle pour être vraie. Malgré tout, il se rapprocha, attrapa la poignée et… rien. Bloquée. Il tira de toutes ses forces,sans le moindre effet. Pousser, non plus. Loin de s’avouer vaincu, Allir déposa son sac au sol pour en ôter une longue tige de métal incurvée, qu’il inséra délicatement dans la fente. Puis il s’activa, s’échina, serra les dents et banda ses muscles à n’en plus pouvoir, gronda même. Toujours rien.
« Bon, souffla-t-il, aux grands maux les grands remèdes ! »

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2 réflexions sur “La désolation de Méaknar

  • 6 mars 2019 à 20 h 37 min
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    Écrits grisant parmi les nuages gris et blancs de l’émerveillement.
    La suite à quand ?
    Prochainement ?
    Nous y serons évidement ….

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    • 7 mars 2019 à 9 h 14 min
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      Merci pour ces beaux encouragements, la suite ne saurait tarder. Mercredi prochain ?

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