Ah, la pêche

Loin d’être la passion d’Allir, la pêche se présentait souvent à lui comme la seule occupation possible en L’attendant. Entouré de toute cette eau, il n’y avait nul autre passe-temps à proximité. Après une sieste au gré des vagues de haute mer, habitué au roulis à force de nécessité, le ciel accapara toute son attention.

Toujours allongé sur sa couchette au confort plus que satisfaisant, il ôta le bandeau qui lui couvrait les yeux, puis les ouvrit doucement. D’abord aveuglé par la lumière soudaine du soleil, des taches blanches finirent par se dessiner sur la voûte céleste. Lorsque les nuages se firent plus nets, Allir souffla d’exaspération. Certes, il était amusant de dénicher des formes particulières dans ces amas immaculés, d’observer ces mêmes formes se mouvoir, onduler, et s’étirer jusqu’à disparaître. Mais l’intérêt réel d’Allir ne se trouvait ici, d’en bas, depuis la mer.
Son rêve le propulsa tout là-haut, où il pourrait plonger dans le brouillard, et s’y perdre.

Enfin, l’attente risquait de s’éterniser, l’Homme ne possédait définitivement pas d’aile.

Après l’expression bruyante de son impatience, Allir se décida à s’asseoir. Sa main enserra la poignée d’une manivelle, sur sa droite, avant de la faire tourner. Sa couchette se redressa en partie tout en reculant vers la paroi arrondie de sa nacelle, jusqu’à former un fauteuil et offrir une place accrue. Désormais, il ne lui restait plus que la pêche. Il se pencha en avant, et chercha, de ses deux bras tendus sous son assise, une caisse solidement attachée. Ses doigts trouvèrent finalement une sangle qu’il détacha tant bien que mal avant de passer à la suivante. La boîte ainsi dégagée, il l’attira au plus près de ses pieds avec un grognement sourd. Qu’elle était lourde ! Qu’est-ce qui pouvait bien peser un tel poids là-dedans ? Allir libéra les verrous et souleva le couvercle. Il décala son casque et sa hache, un sac rempli de diverses potions, un lapin en bois, une trousse d’anneaux et ah, voilà, sa canne à pêche. Il en profita pour ramasser et poser à côté de lui un seau plein de petits vers qu’il ouvrit sans mal.

« Aelimoestri ».

D’un mot nécessaire et connu de rares personnes, le bout de bois que tenait Allir s’agrandit. Un fin faisceau d’or luisit en dessous, suivant des bagues qui apparurent au fur et à mesure. Toujours amusé par cet effet, Allir regarda sa canne à pêche avec une certaine fierté. L’un des sept bâtons du grand Omeous Suoemo en main, il piqua un ver à l’hameçon avant de lancer sa ligne d’un geste souple du poignet. Le bouchon plongea dans la mer puis remonta rapidement. Il ne lui restait plus qu’à prendre son mal en patience.

Du moins est-ce ce qu’il crut jusqu’à voir une colonne d’air expulsée hors de l’eau. Enfin, Elle se réveillait. Heureux d’échapper à la pêche, il se plaignit tout de même qu’elle ait attendu qu’il sorte sa canne pour se manifester. Quoiqu’il en fut, il rangea son matériel et referma la caisse, la glissa sous son fauteuil et l’y accrocha. Ensuite, il attrapa la poignée qui devait clore le sas, le tira jusqu’au bout et, juste avant de sceller l’habitacle, la prévint qu’il était prêt. Il verrouilla alors pour de bon la cloche de verre renforcée de tiges de métal, et s’assit en hâte pour s’attacher en prévision des secousses. Car il y en eut à l’instant où Voliette, sa dragonne, s’élança sous l’eau à toute allure. Lorsque sa vitesse fut suffisante, elle se propulsa et sortit de la mer. Ses ailes se déployèrent et les guidèrent, elle et Allir, vers les cieux. Ils allaient rejoindre les nuages.

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2 réflexions sur “Ah, la pêche

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