Un abri pour la nuit

Toute la journée elle avait marché, ses pieds frottant contre le cuir de bottes humides et trop petites. Et lorsque ses yeux repérèrent, au travers des arbres, cette masse sombre auréolée de pierres, Éloare crut d’abord à une illusion. Son corps meurtri par le froid et son esprit épuisé par la peur lui jouaient-ils un mauvais tour ? Au comble du désespoir, elle se traîna finalement, plus qu’elle se dirigea, vers la seule idée qu’elle pourrait dormir, et au sec. Qu’ils la retrouvent, elle n’avait plus la force de lutter. C’était dormir ici et maintenant au risque de se faire prendre ou mourir dehors. Son choix fut rapide, tout autant que son pied à glisser lorsque ses semelles rencontrèrent la pierre humide. Éloare se vit alors tomber, sans pouvoir réagir, sans vouloir réagir. Et toute allongée contre la roche froide, elle s’endormit, la pluie tombant sur ses jambes.

Elle rouvrit les yeux sur le sol gris et irrégulier de la grotte. Son esprit était perdu dans un brouillard né de la faim, de la soif et de la fatigue. Cependant, elle était absolument sûre qu’on l’avait traînée vers l’intérieur et, encouragée par un espoir qui fut vite soufflé, elle se redressa sur ses coudes et regarda autour d’elle. Seule, rien, personne. Alissart, pourquoi, pensa-t-elle ? Où es-tu ? Éloare n’avait pas revu son mari depuis sa fuite, depuis qu’il l’avait libérée. Elle voulut fondre en larme et s’abandonner à la fatigue et à la solitude, mais seuls ses cheveux encore mouillés laissèrent échapper de l’eau. S’accrochant à ce seul détail, Éloare comprit qu’elle n’avait pas dormi longtemps. Sa volonté s’éveilla un peu et elle acheva de se redresser. La mort n’était pas la solution. Vivre, elle devait vivre. Dans l’instant présent, cela signifiait se réchauffer, manger et dormir.

S’activant au mieux pour ne pas sombrer à nouveau, la change-forme ôta péniblement son sac et en tira brindilles et petites bûches qu’elle avait volées avant de s’enfuir. Elle admira les deux pommes qui lui restaient, repensant aux pièces de viande cuite qui attendaient sur la petite table non loin de sa cage. Ignorant leur origine, Éloare s’était refusée à les prendre, trop inquiète à l’idée de manger une part de ces corps qu’elle avait découverts.

Ce fut lors de l’une de ses rondes qu’elle avait aperçu une cabane au milieu de la forêt. Trop curieuse, elle avait replié ses ailes pour ne plus former qu’une flèche qui s’abattait sur le sol. Au dernier instant, elle les avait rouvertes pour se poser délicatement. Puis, abandonnant bec et plumes, Éloare avait retrouvé sa forme humaine. Silencieusement, ses pas nus l’avaient menée vers la porte. Ce qui se trouvait derrière était un enfer qu’elle peinait à croire vrai. Et pourtant, tout cela l’était. Le sang, la chair. Refusant de se remémorer cette douloureuse découverte, Éloare sortit de son sac les dernières brindilles. Un feu lui ferait le plus grand bien, d’autant qu’au vu de ses réserves, elle n’en allumerait sûrement pas d’autre avant longtemps.

Le bois et la mousse rassemblés, elle tira son briquet et son amadou, et obtint du tout de petites flammes qui s’étirèrent rapidement vers le plafond de la grotte. Ses yeux se fermaient tout seuls, pourtant elle se força à manger l’une de ses dernières pommes. Son ventre lui hurlait de manger la seconde. Fermant son esprit aux plaintes de son corps, Éloare s’allongea et sombra dans un sommeil où ses rêves ne cessèrent de lui rappeler combien le sol de la grotte était froid et douloureux.

À son réveil, tout son dos était meurtri, ses vêtements, mouillés et son ventre, toujours hurlant. Ses yeux, vifs malgré la nuit difficile, tombèrent sur un animal allongé à l’entrée de la grotte. Mort. Il s’était vidé de son sang dans la nuit. Quelqu’un le lui avait apporté pendant son sommeil, lui offrant le repas qu’elle n’osait espérer. Elle se leva péniblement et attrapa son couteau, refusant le dégoût de ses souvenirs. Elle avait faim, elle devait manger et cette viande provenait d’un animal.

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