Non loin de la ville, à quelques centaines de mètres dans la forêt, Grunthor fulminait. La fosse commune ! Savoir le cadavre de ses amis abandonné dans un trou où les accompagnaient les rejetés et les criminels le mettait en rage. De si braves personnes. Au moins nourriraient-ils la terre et les générations futures. « Puisse leur mort porter les graines de la vie, murmura-t-il pour se rassurer. »
Contournant un arbre, il ne put s’empêcher de penser que s’il était arrivé un peu plus tôt, s’il ne s’était pas perdu dans les ruelles, s’il n’avait pas fanfaronné et suivit le même chemin qu’en allant à la taverne, il aurait pu arriver à temps et aider ses camarades. Au lieu de ça, il était arrivé trop tard, ou juste à temps pour assister à leur arrestation. Il revoyait les portes du château se refermer derrière eux, l’empêchant d’aller plus loin. Et aujourd’hui, il s’enfuyait, la responsabilité de leur mort écrasant ses épaules.
Retrouvant l’amas de rochers où il avait caché son équipement, il se promit que plus jamais cela n’arriverait. Là, debout sur les pierres, il regarda une dernière fois la ville. Il devait retourner à la frontière et raconter à qui y était encore quel avenir se présentait à eux. Le choix leur appartenait aussi. Quant à lui, il réunirait les autres et continuerait à survivre. Il trouverait une terre d’accueil ou mourrait en la cherchant.
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Les yeux clos, le crépitement du feu résonnait d’autant plus fort à ses oreilles. Ici et là, le froissement du tissu marquait l’impatience de l’assemblée. Parmi les respirations qui l’entouraient, Moelique se concentra dans une direction, tentant de se rassurer en se disant que l’une d’entre elles appartenait à son grand guerrier. Un léger parfum embaumait l’air, un mélange d’épices qu’elle connaissait bien désormais.
Les rayons du soleil qui traversaient la fenêtre vinrent enfin l’illuminer, transformant sa vision en un champ écarlate. Des bruits de pas réguliers claquaient entre les murs de l’église, qui toujours s’approchaient d’elle. Elle voulut inspirer, avaler autant d’air que possible pour se donner du courage. Face à ce qui l’attendait, son corps lui refusa cette aide, ses poumons se bloquèrent et sa mâchoire se crispa. La tête inclinée, le cou offert, Moelique attendait la suite.
Enfin, le silence revint. Et, après ce qui lui parut d’éternelles secondes, sa nuque fut alourdie par un collier de métal froid.
« Moelique, commença la reine, malgré mes réticences, vous avez su prouver votre dévouement envers ma personne et mon royaume. Loin d’être apaisé, vous lui avez tout de même offert une voie vers la paix, dans le respect de la volonté divine. Pour cette raison, je vous nomme grande prêtresse de notre dieu, Droa’k. Que votre sagesse illumine notre belle contrée. Veuillez vous lever à présent. »
Elle s’exécuta, assaillie par une multitude de sentiments, de désirs et de souvenirs. Loin d’elle était le temps où elle se cachait dans la forêt, attendant l’heure qui verrait tomber la reine. Fière, Moelique venait maintenant de prendre la place d’un Kahang’krach caché dans les ombres. Sa dernière pensée se tourna vers Alissart et Éloare, morts pour leurs convictions. Maintenant qu’elle était grande prêtresse, Moelique se jura de convaincre le plus de change-formes possible. Il était hors de question qu’ils périssent par dizaines !
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La mort de son roi, l’arrivée lente mais décidée de ce nouveau dieu, la folie meurtrière de sa reine et le château. Comment autant de changements pouvaient-ils survenir dans la vie d’une seule personne ? Puis il avait trouvé son chemin dans le cœur d’une femme aussi belle que digne. Elle qui représentait tout ce que son royaume rejetait insufflait désormais l’espoir.
Avec quelle fierté il l’avait vu devenir la grande prêtresse, et avec quelle joie il la voyait approcher de lui, les volants de sa robe écarlate glissant paresseusement au vent. Un certain nombre de personnes était venu célébrer l’événement. Il n’en connaissait pas la moitié. Savoir que ces gens étaient justement d’anciens change-formes que Moelique avait sauvés lui suffisait amplement. Parmi l’autre moitié, son vieux père, droit comme le guerrier qu’il était, laissa couler une larme de joie. Ses deux frères et sa sœur l’observaient avec insistance, heureux de son bonheur.
Okrone n’avait d’yeux que pour Moelique, il lui tendit le bras et l’aida à grimper la marche de l’estrade. Ensemble, il se tournèrent vers la reine qui leur faisait l’honneur d’officier à leur mariage.