Le jour se couchait sur la forêt, transformant les arbres en troncs torturés. Les ombres s’allongeaient et étendaient leur règne. Éloare n’avançait plus que machinalement. À chaque pas, un de ses pieds se levait, sans raison, sans volonté, et venait s’écraser sur le sol avant de laisser l’autre pied le suivre et le dépasser. Son corps avançait ainsi, seul, vidé de l’esprit qui aurait dû l’habiter.
Le froid n’était pas la raison de sa faiblesse. La pluie ne s’était pas montrée depuis plusieurs jours, laissant venir des températures plus clémentes. La fatigue pouvait en être l’une des principales raisons. Le confort d’un lit la faisait rêver chaque nuit. Et la chaleur d’un foyer lui manquait, au point qu’Éloare regrettait le sol dur et froid de la grotte où elle avait dormi. Là où pour la dernière fois elle avait vu un plafond. La faim n’était sûrement pas son principal souci. Chaque fois qu’elle venait à manquer de nourriture, elle en trouvait non loin. Alissart, car elle n’avait aucun doute sur le sujet, lui en avait apportée. Plus d’une fois, dans un moment comme celui-ci, Éloare s’était empêchée de succomber au sommeil, pour le voir venir. Et chaque fois, elle n’avait vu aucune trace de lui ni de l’animal. Un sanglot la fit trembler tandis que ses pas lourds lui faisaient contourner un arbre semblable à une main griffue. Pourquoi refusait-il de la voir ? Qu’avait-elle fait pour mériter un tel rejet ?
Savoir qu’il était là, tout près d’elle, et qu’il restait loin était probablement la pire torture qu’il pouvait lui faire subir. Éloare ne jeta même pas un coup d’œil par-dessus son épaule. Maintes fois elle l’avait déjà fait, et maintes fois elle n’avait vu que cette forêt infinie, triste et froide. Nulle trace de son mari. Désormais, elle n’avait plus la force ni la volonté de le faire. À quoi bon ? Quel avenir lui restait-il ?
Les soldats de la reine la recherchaient pour la tuer comme ils l’avaient déjà fait pour tant des siens. La raison de cette soudaine chasse lui restait encore inconnue. Les change-formes avaient toujours vécu en paix avec les autres. Les change-formes. Ce souvenir se raviva en une boule dans sa gorge qui l’empêcha même d’inhaler l’air qui lui permettait de survivre et d’avancer sans but. Ils les avaient sauvés. Pourquoi avait-il fallu qu’ils enrôlent son mari et lui fassent manger de la chair humaine ? Pourquoi avait-il fallu qu’ils soient de tels monstres ? Pourquoi elle ? Pourquoi ?! Pourquoi tout ça ?!
Le désespoir qui se créa en elle fit revenir son esprit dans son corps. Dès lors, ce dernier lui fit réaliser combien il était épuisé, essoufflé et donc si en accord avec son esprit, qu’il succomba. Éloare tomba sur le sol de la forêt. Ses jambes tremblaient, le sang battait à ses tempes et dans toute sa tête. Plus rien ne la ferait se lever. Elle n’avait plus aucune raison de continuer son calvaire. Même son mari l’avait abandonnée. Pourtant un bruit lui fit lever la tête. Un aindo haletant se tenait devant elle. Faiblement, elle tendit la main vers lui. Poussés par la fatigue, ses yeux clignèrent et l’animal n’était plus là. Seule une petite lumière, au loin, brillait.