À quatre pattes sur les rochers

Les remords alourdissaient chacun de ses pas et, sur les pierres rendues glissantes par la dernière pluie, la chute semblait inévitable. Ses dernières paroles envers Alissart le rongeaient encore. Insulter ainsi Éloare, une femme si pleine de courage, mentir et manquer de respect aux traditions de son pays, avant de soumettre son compagnon par la force. Se pardonner promettait de prendre un temps certain. Cela pouvait dépendre de la suite des événements. Malgré le fait qu’il s’en voulait, Grunthor ne regrettait pas totalement ses actes, le résultat en valait la peine. Il se tourna un instant, admirant non sans amusement ce fameux succès.

Enveloppé dans une cape, les deux bras tendus de chaque côté, Alissart penchait de droite et de gauche, marchant dans un équilibre précaire. Pendant trop longtemps il avait conservé sa forme animale et devait désormais se réhabituer à marcher sur ses deux jambes. Cela passerait vite. Pour descendre d’un rocher, il fut contraint de s’accroupir totalement avant de tendre son pied vers le bas. Grunthor ne se pressa pas pour lui venir en aide. Maintenant qu’Alissart venait de retrouver sa véritable apparence, il devait prouver sa force et sa volonté. Bien sûr, il resta non loin de son compagnon au cas où ce dernier voudrait heurter trop violemment le sol après une chute.

Un cri aigu résonna dans le ciel gris. Au-dessus d’eux, un oiseau aux plumes rousses traçait des cercles. Grunthor n’avait jamais vu de semblable rapace. Ignorant si cela devait être un signe encourageant ou, au contraire, un chasseur des soldats de la reine, il porta la main à sa hache avant de se tourner vers Alissart pour le pousser à l’abri. L’ombre qui voilait le regard de son compagnon lui fit comprendre ce qui les attendait. Grunthor aida Alissart à s’installer à l’abri sous un rocher avant de ressortir. Il attendit là que l’oiseau achève sa descente.

Sans crainte, le rapace fondit avant d’ouvrir largement ses ailes, d’étirer ses pattes et d’amorcer sa transformation avant même de toucher le sol. Surpris, Grunthor détourna le regard.

« Mon mari, dit-elle pleine de joie, tu l’as sauvé. Je l’ai vu. »

Grunthor l’entendit avancer vers lui, tendit la main au hasard pour l’arrêter et par chance, toucha son épaule. « Attends, s’imposa-t-il gêné, tu es nue, n’est-ce pas ?

-Bien sûr, comme tous les change-formes après leur transformation. Quel est le problème ? Grunthor, laisse-moi passer, je veux voir mon mari.

-Non, c’est impossible. P…pas pour l’instant. Il est, hum, trop tôt encore, et, hum…Je suis désolé, je n’ai rien pour te couvrir, veux-tu bien cacher ta, enfin, ta nudité?

-Oh, s’écria-t-elle surprise ?! Parce que c’est un problème pour toi ? Pourtant nous sommes tous égaux et cet inconvénient, nous le partageons.

-Peut-être que pour vous se promener nu est naturel, pour moi ça ne l’est pas. Alors, s’il te plaît… Non, attends ! Tu ne peux pas rester là et nous non plus. » Sa voix était désormais pleine d’inquiétude. « Éloare, te rends-tu compte de ce que tu viens de faire ? Tu viens sans doute de guider les soldats de la reine jusqu’à nous, nous devons quitter les lieux.

-Grunthor, ce n’est pas la première fois que je suis poursuivie, je n’ai vu aucun soldat.

-Avec tous ces rochers ?

– S’il te plaît, laisse-moi le voir, l’implora-telle. Jamais je ne pourrais te remercier assez de me l’avoir ramené, mais j’ai besoin de savoir comment il va. S’il te plaît, insista-telle. »

Un bruit attira l’attention du guerrier. Du coin de l’œil, il aperçut l’éclat du métal, aussi tira-t-il l’une de ses haches de jets et la projeta-t-il de toutes ses forces vers l’intrus. Conservant le silence, il abandonna Éloare et, arme en main, partit voir si ce n’était qu’un éclaireur. Effectivement, les ennuis ne sauraient tarder. Grunthor s’empressa de récupérer sa hache avant de retourner auprès de ses compagnons.

« Ils nous ont trouvés, déclara-t-il froidement. Nous ne pouvons rester en ce lieu. Éloare, retransforme-toi, ajouta-t-il sans la regarder, il me sera plus facile de te protéger ainsi. Alissart, tu penses pouvoir aller plus vite ? »

La seule réponse qu’il obtint fut un grognement et le cliquetis des griffes sur la roche.

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