Retrouver un lit, aussi dur et inconfortable fût-il, le troublait. Ce qui ressemblait à une vraie délivrance quelques heures plus tôt l’empêchait désormais de dormir. Ainsi, il était possible de tant s’éloigner d’une vie normale que s’allonger à même le sol semblait plus naturel que sur un matelas de paille. Ce n’était pas seulement cela. Tout ce qui l’entourait lui était étranger. Seule la clarté de la lune, bien que filtrée par les rideaux dépenaillés, lui rappelait sa vie, celle qu’il avait acceptée. Dans cette auberge des bas quartiers de la capitale, le râle des pauvres et des rejetés remplaçaient les quelques animaux qui rôdaient autour de la grotte. Le bois vieillissant, dérangé par la vermine galopante, prenait lieu et place de la pierre. L’air suffocant des rigoles assaillait ses narines et transformait la pureté présente dans ses poumons en fumet âcre. Cherchant par tous les moyens à se distraire de ses sombres pensées, Alissart balaya la pièce du regard.
Si la façade de l’auberge paraissait triste, elle ne pouvait pas envier l’intérieur. À l’image de la salle commune, la chambre dépérissait. Le plancher, grisé par les âges, l’abandon et la poussière, ondulait sous le poids des occupants. Un peu plus tôt, Alissart avait découvert de nombreuses toiles entre les épaisses poutres. Il était trop tard pour les voir désormais, toutefois, il les savait présentes. Il ne les craignait pas. Pas après cette éternité de fuite.
En comparaison du sommeil agité de ses trois autres compagnons présents dans la chambre, la respiration lente et profonde de Grunthor l’agaçait. Comment parvenait-il à dormir si aisément ? Dès les bougies soufflées, la quiétude l’avait attrapé pour le mener vers des contrées paisibles. Nul sursaut, nulle agitation ne le parcourait. Éloare dormait-elle, elle ? En plus du changement d’environnement, Alissart devait s’accoutumer à l’absence de sa femme. Il se tourna vers le mur et posa sa main contre. La savoir juste derrière cette paroi le torturait. Ils ne pouvaient cependant faire autrement, l’aubergiste avait rejeté l’idée que les hommes et les femmes se mélangent. Refusant de se faire remarquer, Grunthor avait accepté la proposition, déjà heureux de trouver suffisamment de place pour tous dans une seule et même enseigne.
Parmi les dix-huit membres du groupe qu’ils formaient avant de quitter la grotte, cinq avaient refusé de les suivre, préférant continuer à se cacher et à survivre au jour le jour. Les autres avaient suivi le guerrier jusqu’à la capitale, espérant en apprendre davantage sur la chasse des change-formes. Ils avaient besoin d’informations, de savoir si l’humeur de la reine à leur égard avait changé ou s’il existait un moyen de quitter le pays. Et les bas quartiers regorgeaient habituellement d’opportunités. Il ne restait plus qu’à espérer qu’elles seraient bonnes.