En chemin vers Kopangne

La vision qui s’offrit à son esprit tourmenté lui noua la gorge. La couverture végétale de la forêt dépassée, des volutes de fumée apparurent au-dessus de Kopangne. Sur ses hautes murailles, plus aucun drapeau frappé du blason de Guaal ne claquait au vent, ni aucun autre d’ailleurs. La ville n’appartenait plus à personne. Les jamures n’avaient même pas pris le temps ou senti le besoin d’affirmer leur récente conquête. Les jambes de Carmin tremblèrent un instant, puis cédèrent sous son poids. Les feuilles abandonnées par les années amortirent légèrement sa chute, ses genoux s’échouèrent sur un tapis accueillant.

Le monde auquel le duc l’avait arraché n’existait plus. Les rues et venelles de Kopangne devaient crouler sous les cadavres et les décombres. Cette ville qui l’avait vu naître, grandir et s’élever ne se limitait plus qu’à un tas de ruines et de désolation.

Il avait beau s’y être préparé en chemin, après les nombreuses rumeurs du passage des jamures, la terrible scène qui se dessinait devant lui fissura son cœur. Carmin découvrit au même instant son attachement pour ce lieu. Lui qui ne le considérait que comme son terrain de jeu, il l’apparentait désormais au berceau de sa vie. Et il crachait sa souffrance en cendres et fumée morbide !

La soudaine prise de parole de Varnille n’éveilla aucune combativité : « Relevez-vous, la situation n’est peut-être pas aussi désespérée. » Voyant son absence de réaction, elle poursuivit. « Regardez, les murailles n’ont pratiquement subi aucun dégât. De même que la plaine environnante. La ville ne s’est presque pas défendue et les assaillants n’ont guère eu besoin d’insister pour s’y engouffrer. En ce cas, le duc Guaal aurait ouvert les portes aux jamures.

-Pfff. » Carmin haussa les épaules. « C’est mal le connaître. Il voulait les anéantir après avoir ridiculisé le roi. Et devenir le nouveau héros du peuple. Il n’avait aucune raison de pactiser avec eux. Je crois plutôt qu’il est mort, comme la plupart des gens le disent, et que les jamures sont entrés sans grand effort.

-Peu importe, trancha Varnille ! Nous devons nous rendre en ville et en apprendre plus sur la situation. Venez, la vérité n’est peut-être pas aussi terrible que ce que vous pensez. »

Malgré ses airs stricts, la soldate avait du cœur, et elle venait de le prouver par cette touche de bienveillance. Pourtant, Carmin s’exécuta sans grand espoir. Il se redressa, la remercia d’un signe de tête furtif, et simula paresseusement une invitation à le suivre.