En cet instant précis, Carmin appréciait tout particulièrement le choix qu’il avait fait sur le Fendeur d’Âmes. Recroquevillé au mieux dans un tonneau, il attendait de pouvoir entrer en scène. D’horribles picotements lui brûlaient les jambes et le bas du dos, comme autant de poignards s’en prendraient à un pauvre serpent déjà mort. Ses bras n’existaient tout simplement plus, ou comme deux poids parfaitement inutiles. Même ses cheveux se moquaient de lui. Trois ou quatre d’entre eux restaient bloqués entre les planches et s’acharnaient à le torturer chaque fois qu’il cherchait une meilleure position. Cette douleur ne le tuerait pas, il le savait pertinemment. Il se serait même moqué du premier à lui parler de mèche coincée. Pourtant, là, dans ce tonneau, chaque cheveu tiré semblait relié à son cœur le temps d’un souffle saccadé. Alors imaginez votre battant transpercé trois ou quatre fois en même temps.
Difficile donc de supporter cette torture en pleine mer, et d’y survivre.
Carmin souhaita que le dieu du jeu et de la farce, Soupetard le malicieux, puisse détourner le regard et observer un autre de ses plaisantins. Au moins le temps d’un instant. Car voilà qu’enfin approchait la cible désignée par le duc lui-même, et la suite risquait de manquer de panache. Sa mission consistait à détourner l’attention d’un homme en particulier, à cet endroit précis de la ville. Et dans cette rue, tout ce que Carmin avait pu trouver se limitait à un groupe de tonneaux vides.
Désabusé, il se colla à la fente, jurant lorsque ses cheveux se coincèrent une fois de plus, et observa. L’homme portait bien un tabard jaune et vert, resserré à la taille par une épaisse ceinture de cuir. Les larges manches de sa chemise se balançaient d’avant en arrière à mesure que ses bras battaient. Carmin retint un éclat de rire en voyant ses jambes en os de poulet, amincies par un collant noir. Ses chaussures largement ouvertes frappaient le pavé sans douceur. Sérieusement, il existait encore des hommes pour s’habiller comme ça ? Ah, le pauvre.
Encore un pas, encore un pas. Peut-être un de plus. Allez, un dernier.
Carmin se déplia en hurlant et en agitant les bras comme un dément. L’air frais s’engouffra derrière le masque de monstre qu’il portait depuis trop longtemps, et évapora instantanément la sueur accumulée. Les passants, les marchands, les curieux et l’homme en tabard sursautèrent en criant leur surprise. Avant de laisser l’incompréhension les gagner. Carmin fut tout aussi surpris qu’eux lorsque son corps décida de se moquer de lui un grand coup.
Alors qu’il se lamentait de son manque d’originalité et terrorisait sa cible, ses jambes l’abandonnèrent. Ses genoux fléchirent avant de le laisser tomber en avant. Et, comble de la situation, ses bras refusèrent de viser le sol pour l’amortir. Au lieu de cela, il s’étendit de tout son long sur le pavé.
« Merci Soupetard, grinça-t-il. »