Savoir que tant d’hommes périssaient en suivant ses ordres détournés ne le chagrinait pas le moins du monde. Les soldats mouraient toujours pour une raison qu’ils ne comprenaient pas. Les grands commandent et les corbeaux festoient sur les champs de bataille. Guaal leva cependant sa coupe à leur mémoire et en vida le contenu d’un trait.
Bras tendus, les mains solidement ancrées sur la table, il observait la carte du front Est. Un large sourire étira ses lèvres. À l’aide d’une perche, il tira des pions sculptés jusqu’à bousculer une rangée de boucliers. Depuis qu’il remplaçait les consignes royales, les jamures perçaient leurs lignes en de nombreux points stratégiques. À ce rythme, les jaune et vert se verraient obligés de reculer. Il faudrait alors intercepter un nouveau messager, découvrir leur plan de repli et probablement le fournir à l’ennemi. Interviendraient au moment décisif le duc de Kopangne et son armée. Dans une charge héroïque, ils balaieraient la menace. Fier, il frappa dans ses mains et les frotta énergiquement avant de les porter à son menton.
Quelle association enrichissante ! Guaal se félicita d’avoir écouté cet étranger venu de Llormo. Loin de son aboutissement, son plan offrait tout de même de belles perspectives. Et Carmin agissait de la plus efficace des manières. Chaque fois qu’il volait un messager, il donnait l’opportunité à l’un des hommes de Yarflel de glisser ses propres consignes pour le front Est. Ainsi, ils frappaient le point fort du roi. Connu et respecté pour son talent de stratège, son entourage se questionnerait bientôt sur son aptitude à diriger, ses ordres paraissant de moins en moins judicieux. Lui-même craignait que les modifications apportées semblent trop évidemment suicidaires. Et pourtant, tout fonctionnait à merveille, les jamures avançaient.
Un détail restait en suspens. Si Guaal parvenait à évincer le roi, son fils unique, Clorace, s’interposerait entre lui et le trône. Cette simple idée le fit sourire. Ce pauvre bougre incapable de tenir une épée mourrait sur le front en une journée à peine. Évidemment, quoi de mieux qu’un prince pour galvaniser les troupes. Sa Majesté Renouille ne pourrait s’y opposer.
Ah, ce grand homme prend de l’âge. Un peu de repos ne lui ferait pas de mal.
Abandonnant la table des cartes, il retourna se servir une nouvelle coupe de vin blanc, domaine du preux Grunthor. Sa robe vieil or contrastait parfaitement avec le rideau de pluie qui s’abattait sur la ville depuis le petit matin. Il porta le cristal à ses lèvres et laissa les arômes d’acacia, de pêches et de cannelle réveiller ses papilles.