Maître Rainette

Frigorifié par la pluie incessante et plongé dans des ténèbres sans lune, Carmin releva le col de son épais manteau de cuir. Selon les consignes données par l’homme du duc récemment disparu dans la nuit, notre farceur devait marcher jusqu’au bout de la rue, tourner sur sa droite, et frapper à la porte de la seconde bâtisse sur sa gauche. Entouré de ces murs étrangers, l’idée de se perdre, même en ligne droite, le tourmentait. Et, pour combler le tout, la ville elle-même le pressait de se dépêcher sous peine d’être avalé par la nuit. Les murs, les toits et même le sol semblaient trop sombres, comme englués dans un drap d’obscurité. Dans un tel environnement, rien ne l’aida à se persuader d’être finalement arrivé à destination.

Le regard tourné vers cette masse indéfinissable, il trébucha sur une volée de marches, se rattrapa en posant les mains au sol et rejoignit l’entrée aussi dignement que possible. Tâtonnant le bois, ses doigts glissèrent sur un heurtoir stylisé. Étrangement, aucune torche ne pouvait l’aider à mieux y voir. Il frappa trois fois et, avant de pouvoir relâcher sa prise, la porte s’ouvrit en un grand rayon doré. Un homme d’âge mûr, en livrée noire largement brodée de rouge et d’or, se tenait droit dans l’entrée. Digne et empreint de grandeur, il déclara simplement :

« Maître Rainette, je présume. »

Que répondre à cela ? Carmin fixa le serviteur, les sourcils relevés, les yeux pleins d’une incompréhension comique.

« En chair et en os, monsieur Geandain, le sauva un autre homme. » La voix venait de plus loin dans la salle, son propriétaire restait encore caché par la porte. Il était pourtant inutile à Carmin de le voir, le reconnaissant.

« Bienvenue maître Rainette, déclara simplement le majordome en ouvrant plus amplement. »

Les yeux de Carmin s’illuminèrent d’émerveillement. Jamais la vie ne lui avait donné la chance de voir une pièce si belle. Tout de bois, les murs et le sol brillaient d’une lueur marron sombre, presque noire. Au niveau du sol et sur une hauteur d’une dizaine de centimètres, une fresque rouge traçait un sillon. Des entrelacements dansaient, s’emmêlaient et se mélangeaient. Un large tapis de la même teinte courait au centre avant de monter les marches d’un escalier qui s’ouvrait en deux. Une mezzanine surplombait le vestibule sur les quatre murs. Carmin ne s’attarda pas sur le duc, en haut, qui l’attendait, et se perdit sur le plafond peint de myriades de couleurs. Sur un ciel bleu, profond, à la fois sombre et brillant, des fleurs stylisées s’éveillaient. Au centre, une lourde chaîne dorée retenait un lustre illuminé.

« Permettez-moi de vous débarrasser, votre manteau ne vous sera d’aucune utilité ici. Jarlon, par ici, tonna-t-il à l’attention de la pièce d’à-côté. »

Un autre homme, plus jeune, répondit à l’appel et vint s’occuper du vêtement de Carmin. La livrée du nouveau venu, bien que plus légèrement brodée, portait les mêmes couleurs rouge et or.

« Merci, euh, monsieur Gandain.

-Geandain.

-Oui, bien, monsieur Geandain.

-Ça suffit ! Seigneur Rainette, rejoignez-moi. J’ai à vous parler. »