La plaine en feu

À la faveur de la nuit et protégés par les arbres, Carmin et Varnille s’approchèrent de l’orée de la forêt. La soldate devait absolument voir ce qui s’étendait dans la plaine avec davantage de précision, et notre farceur ne s’imaginait pas une seconde rester seul dans cet environnement. Ni les ténèbres ni la vie grouillante et invisible qui l’entourait ne l’effrayaient vraiment. Cependant, le coin ne semblait pas sûr. Pas le moins du monde. Étrangement, il préférait l’idée de rejoindre son cheval et de rallier Argogue, même avec un postérieur aussi douloureux et des jambes aussi raides. Il suivit pourtant le pas jusqu’à pouvoir s’appuyer contre le dernier tronc.

Les innombrables torches s’apercevaient à des lieux à la ronde, semblables à un coucher de soleil. Pourtant, au cœur de cette plaine, elles se muaient en flammes dévorantes, celles de l’enfer prêt à avaler le monde entier. La gorge de Carmin s’assécha. Même le roi Renouille ne pourrait rien contre cette armée. Tout le peuple jamure devait piétiner dans un même ensemble l’herbe qui s’étendait devant lui. Comment avaient-ils fait pour réunir tant d’hommes ? Et pourquoi personne ne tentait de les arrêter ? Décidément, plus rien ne serait comme avant.

Une main se posa sur son épaule.

« Nous devons partir, déclara Varnille le plus calmement du monde. » Son cœur, lui, tambourinait dans son torse des dizaines de fois par seconde. « Nous n’avons que trop tardé. »

Carmin balbutia une réponse incohérente et recommença à suivre sa compagne de mésaventure. Il rejoignit sa monture, glissa son pied dans l’étrier et serra les dents en s’asseyant contre le cuir rigide. Varnille ne lui offrit que le temps de souffler avant de hurler: « Au galop ! » L’urgence de la situation ne lui apparut que lorsqu’une flèche siffla à son oreille. Tout s’enchaîna en un éclair. Le vent, les secousses, l’ombre des arbres filant à toute allure. Le danger, les flèches, les racines mortelles. L’impossibilité d’agir. L’impuissance. Carmin agrippa ses rênes et pria le seul dieu qu’il connaissait. Qu’il le sorte de là, qu’il l’autorise à vivre un peu plus, malgré ses récentes mauvaises plaisanteries. Notre farceur savait ne plus être digne de Soupetard.

Le calme revint pourtant brusquement. La forêt avait disparu, les traits mortels ne pleuvaient plus sur eux. Seule la puissante respiration des chevaux rompait le calme environnant. Carmin baissa les yeux vers ses mains qui refusaient de s’ouvrir tant la peur les gouvernait encore. Puis il redressa le regard et croisa celui peu assuré de Varnille. Elle serra les dents et étira les lèvres en un sourire crispé. « Nous devons faire vite, déclara-t-elle, tremblante. »

Carmin ne comprit son empressement qu’en découvrant une flèche dépassant de son épaule.

« Mais, attendez…

-Nous n’avons rien pour l’extraire, ni pour nettoyer la blessure.

-Bien ! » Une assurance nouvelle prit possession de Carmin, qui talonna sa monture. Il prit ainsi les devants.