Les axes majeurs couverts de pavés grossiers, quelques bâtisses démesurées où apparaissait parfois la pierre, et sa foule agitée. Pour le reste, Amhtik ressemblait à tous les villages du territoire. De la terre battue, du bois et de la tourbe pour les murs et remparts, le caquetage parsemé des poules et les voix éparpillées du peuple. La vie suivait la logique habituelle, sa force était juste plus vive, plus audacieuse.
Peu désireuse de s’attarder, ou trop avide d’assouvir sa faim, Mazy dépassa peaussiers, bijoutiers, potiers et autres commerces et débits d’alcool. Sa cible se situait sur la place du Jour, il serait toujours temps de repasser sa tâche accomplie. Le garde à la porte sud avait déclaré qu’il lui était impossible de se perdre. Il suffisait de suivre l’artère, tout droit. Le temple avait pour habitude de rester aux mêmes abords. La guerrière avait souri, plus par pitié que par sympathie, l’avait remercié, puis avait repris sa route.
La place s’ouvrit face à elle, cercle approximatif où le ravage laissé par le marché du jour s’imposait. À quelques pas d’elle, l’ultime retardataire achevait de désosser sa table. Sur sa gauche, sous le porche de sa bâtisse, le maître des lieux, appréciable à ses riches atours, admirait la réussite de sa ville. Rêveuse, Mazy se vit propriétaire du foyer qui abritait cet homme. Cette possibilité la mettait à l’abri de toute faim, du froid, des heures à marcher, solitaire. Mais elle la privait aussi de sa liberté ! Et sa beauté restait pâle face à celle du palais d’Ourkess, seule véritable demeure à sa mesure. La guerrière jeta aux oubliettes sa bêtise fugace, et se focalisa sur le chef. Les bras croisés, il s’appuyait au pilier le plus proche, le regard dirigé vers les hommes et femmes chargés de débarrasser les ordures. Le repas des porcs se profilait.
Mazy acheva d’observer les lieux et découvrit, sur sa droite, l’objet de sa visite. Du jamais vu, le temple possédait plusieurs salles visibles depuis l’extérieur, comme si chaque espace s’était greffé à la pièce première. La multitude de toits arqués luttait, comme pour triompher de ses pairs. Cette guerre fictive apportait malgré tout la quiétude à qui l’admirait. Chaque sculpture, chaque tête de créature merveilleuse, chaque gravure se trouvait à la place qui lui était prévue. Le tout portait la marque du bois sombre, presque aile de corbeau.
Frappée, mais pas assez pour reculer, Mazy se dirigea vers la double porte du temple. Elle traversa le parvis, grimpa quelques marches, et fut accueillie par le prêtre huissier, ou le prêtre majeur, ou peu importait quel titre il s’octroyait, s’il était capable de l’aider. L’homme écouta avec appétit et curiosité sa requête. Mazy voulait elle-même parler à chaque dieu figuré ici, et elle savait que même Garguyme, le dixième, dit le Capricieux, guettait le passage de la vie derrière sa statuette. L’ecclésiastique étira ses lèvres et plissa les yeux, amusé. Impossible pour le peuple de se faire ouïr des immortels. Toutefois, si la femme désirait s’exprimer, il se ferait le plaisir d’exercer le rôle de messager.
Mazy sourit pour toute riposte, et le visage du prêtre se décomposa. Il hésita. Devait-il préméditer le passage forcé de la guerrière, au risque de le blesser, ou bluffait-elle ? Puis il comprit.
« Je… peux toujours… heu… vous porter, vous apporter… »
Le prêtre se racla la gorge pour retrouver courage.
« Je veux dire, aiguiller vos paroles et les faire glisser jusqu’aux oreilles des dieux. Tolérez que je sois votre guide, j’exposerai votre requête puis vous laisserai vous exprimer. Ce sera mieux de la sorte.
– Je vous remercie, répliqua-t-elle avec douceur. »
Et toujours le sourire froid étirait ses lèvres.