Le savoir de la childa

Pour la guider sur la voie qu’elle s’était choisie, la childa qui l’avait liée aux dieux lors du rituel du premier été saurait l’aider. Elle seule, ou sa légataire, possédait le pouvoir d’ouïr le désir des immortels à l’égard de l’être ciblé. Dès que Mazy l’avait compris, elle s’était empressée de rallier le village qui l’avait vu sortir du corps de sa mère.

Désormais face à la peau qui servait de rideau, la femme hésitait. Le but qu’elle s’était choisi serait-il accepté des dieux ? La voie vers Ourkess existait-elle ? La mâchoire serrée, Mazy persistait à fixer les poils beiges du cuir accroché à la porte. Sa hardiesse l’avait aidée à braver les hommes, le froid, la pluie et la faim depuis dix jours. Mais ici, face à cette bouche velue, sa visée oscillait.

« Tu peux approcher. »

La voix calme de la childa réveilla sa soif de gloire. Mazy redressa la tête, prête à tout. Peu importait si le trajet jusqu’au dieu de la guerre la forçait à défaire la totalité de ses soldats, ou à recevoir les assauts des déités. Le feu et la glace, la foudre et la terre, la vie et la mort. Elle les braverait, les surpasserait. Elle résisterait et triompherait ! Le regard sûr, elle attrapa le bout de cuir et se faufila sous l’abri.

L’odeur oubliée, composée de terre cuite, d’épices, de putridité, raviva les traces de rituels passés. À travers l’obscurité combattue par de rares bougies, et la fumée qui voletait, Mazy aperçut la messagère des dieux, assise là, affairée à jeter des os. Protégée par de vieilles fripes, sa silhouette paraissait plus squelettique que sa mémoire la laissait vivre. Toutefois, le fatras de grigris et autres objets occultes qui cliquetait partout sur elle s’était accru. Du peu du visage que Mazy voyait, elle réalisa que l’âge avait agi. Des rides, des tâches. Mais toujours la même lueur. L’habituel tissu recouvrait sa bouche, où celle des dieux était figurée.

« Vous saviez…

– Que tu approchais ? »

Le sourire de la childa apparut sur ses traits malgré le voile.

« Rester paralysée comme tu l’as fait suffisait à te révéler. Pour ce qui est de savoir que Mazy se cachait derrière cette peur, te voici. Cela dit, je sais pourquoi tu es là, poursuivit-elle avec douceur. »

Elle leva des yeux bleu gris, riches du savoir prophétique. Le calme s’y mêlait à la tristesse, presque éperdue.

« Je refusais peut-être de croire que tu étais le prélude de ce qui risque de se produire. Mazy, je t’adjure de rétablir ta route. Ourkess a certes fait peu de cas de ta bravade, mais elle fut écoutée par d’autres, avec beaucoup de curiosité. Elle t’apportera le malheur et l’hostilité des hommes et femmes. Déjà le choix que tu as fait se propage. Tu sèmes ta propre perte. »

L’accalmie qui suivit permit aux deux femmes de réfléchir à la multitude de ricochets que pouvait créer la pierre de Mazy sur le rivage des âmes.

– Alors je suis sur la voie, taillada la guerrière. Childa, guide-moi, je dois épouser Ourkess !

– Je refuse, c’est impossible, s’excusa-t-elle presque. Tu restes aveugle à tout ce que peut provoquer ta fierté.

– Elle peut apporter quelque chose, sourit-elle, rêveuse.

– S’il te plaît, cesse cette frivolité, et essaie de réaliser ce que tu amorces.

– Tu persistes à m’aider, childa, je te remercie.

– C’est faux ! Écoute-moi, Mazy ! »

Le regard de la femme à la bouche voilée mua. Il se durcit, comme s’il s’apprêtait à fouetter sa cible.

– « Mazy…

– Oublie ça, la coupa la guerrière avec douceur, j’agirai seule, comme je l’ai toujours fait. Je réalise qu’espérer l’aide de celle qui adresse la parole des dieux était stupide. Tu te trouves sous leur tutelle, et tout appui de ta part serait jugé comme forfaiture. Je respecterai ta place, tout comme je respecterai mes choix. Celui-ci plus que jamais. »

Sur ce, Mazy salua la childa avec tout l’égard qui lui était dû et quitta les lieux.