L’espoir d’Oximur

La revue Gandahar avait lancé un appel à textes sur le thème de l’intelligence végétale. Ayant été pris par un autre AT, je n’avais eu qu’une semaine pour en réaliser un. Malgré ce laps de temps assez court, j’avais préféré ne pas trop me mettre de pression au risque de bâcler mon texte. Cela ne m’a tout de même pas empêcher de m’y plonger ardemment. Et si je n’avais pas réussi à respecter le temps imparti, j’aurais simplement pris cela comme un exercice…mais je voulais y parvenir !

Ainsi, voici l’écrit que je leur avais soumis.

L’Espoir d’Oximur

Ce jour, bien qu’ayant commencé comme chacun des précédents, devait marquer un tournant dans la carrière du docteur Oximur. Aussi tentait-il de progresser comme à son habitude dans les longs couloirs métalliques de la tour, sans prêter attention à ses collaborateurs qui le fixaient ouvertement. Leurs regards n’étaient pas noirs, bien au contraire, tous étaient intéressés, voire passionnés par les recherches d’Oximur. Un nouveau jour, une nouvelle ère.

Sans y réfléchir, ses pas suivirent le trait bleu jusqu’à la porte de son laboratoire. Il s’arrêta un instant, le temps que le système de sécurité vérifie son matricule. Et, derrière ces volets de métal qui s’ouvrirent suite à la validation de l’entité, il découvrit l’effervescence de ses assistants. Là encore, tous se tournèrent vers lui. Oximur éprouva une certaine fierté envers cette équipe qui l’avait assisté dans son projet. Ensemble, ils avaient partagé ses premières expériences, ainsi que ses premiers échecs, ses nombreux échecs. Et désormais, si tout se passait au mieux, ils allaient partager un succès, leur succès.

« Rien n’est encore sûr, chers confrères. Aussi, comme le disaient les anciens, ne crions pas victoire trop vite. »

Et d’un geste, le docteur renvoya tous ses assistants au travail. Lorsque chacun fut occupé à reprendre les derniers calculs ou à vérifier certaines solutions, lui-même se dirigea vers le centre du laboratoire circulaire. Une cloche de verre opaque l’attendait. À l’intérieur se trouvait le sujet de tous les intérêts, cette expérience qui selon les calculs devait être une réussite totale. Presque fébrile, il posa sa main contre la paroi.

« Docteur Oximur, nous sommes prêts.

-Bien. J’espère que vous mesurez combien l’importance de cet instant est grande. Si ce que nous tentons de créer depuis tant d’années se trouve réellement à l’abri, sous ce dôme, alors tous nous considéreront comme ceux qui s’approchent du pouvoir des anciens. Vous, n’oubliez jamais le travail que nous avons produit, ne vous glorifiez jamais de notre réussite. Nous ne sommes que des scientifiques qui œuvrent pour le bien commun. » Oximur attendit un instant que tous aient compris et accepté ses mots. « Veuillez libérer notre œuvre. Voyons si nous nous approchons du futur.

-Avec grand plaisir. »

Un iris s’ouvrit au plafond, laissant s’échapper un bras robotique qui vint refermer ses griffes sur le dôme. Un quart de cercle dans le sens horaire et une fumée commença à s’échapper du piédestal, s’écoulant vers le sol bleu. Une petite brume vint lécher les pieds du docteur et de ses assistants qui n’attendaient plus que de voir apparaître la source de tous leurs espoirs. Et bientôt, ombre parmi les blancheurs mouvantes, un bulbe se dévoila. Luttant pour s’épanouir hors de leur cocon orangé, trois fines tiges d’un vert presque jaune se dévoilaient. Vivante, elle était vivante !

Les acclamations et la joie retentirent dans le laboratoire. Les assistants se sautèrent dans les bras les uns les autres, se serrèrent la main à tour de rôle. Après de nombreuses années et des dizaines de tentatives, ils avaient réussi à créer une plante. Et une bien vivante ! Mais le plus incroyable dans tout cela était que d’après les calculs, celle-ci était intelligente. Cette plante était une nouvelle forme de vie capable de penser, d’apprendre et d’évoluer. Les anciens auraient été fiers. Bien qu’aussi heureux que son entourage, le docteur se forçait au calme. Même si les calculs disaient vrai, il préférait attendre de voir. Cependant, il ne put empêcher le flot de confrères de pénétrer dans son laboratoire pour venir les féliciter.

* *

Une source de lumière au creux de sa main, le docteur Oximur s’approcha de la plante. Espoir était le nom que son équipe avait donné à ce bulbe florissant, et elle répondait à toutes leurs attentes pour le moment. Il était désormais temps de réaliser quelques tests. Aussi, le docteur s’approcha prudemment du dôme. Car certes, la plante était vivante, mais était-elle réellement intelligente ? Ainsi, la lenteur du scientifique n’était qu’une tentative de faire reculer l’inéluctable.

D’un geste de la main, il fit comprendre à ses assistants qu’ils devaient faire relever la cloche abritant leur trésor. Cette fois, nul effet théâtral, nulle brume ne s’échappa lorsque le dôme de verre se souleva et l’émerveillement de la rencontre avec cette nouvelle forme de vie ne produisit aucune étincelle. La joie de la découverte s’était apaisée. Oximur prenait pour acquis le fait que ce bulbe était, tout simplement. Désormais, il attendait plus de cette boule de feuilles séchées et de ses trois tiges.

Au centre du laboratoire, Oximur plaça la sphère de lumière dans son dos et, sans se tourner vers ses assistants, déclara :

« Lancez la procédure d’enregistrement, nous allons procéder aux premiers tests.

-Procédure d’enregistrement lancée docteur, c’est à vous.

-Docteur Oximur pour les tests sur la nouvelle forme de vie nommée Espoir. La plante semble survivre plus longtemps que ses prédécesseurs, cependant son intelligence reste à prouver. Voilà une dizaine de levers de soleil qu’Espoir a vu le jour, pourtant aucun signe d’évolution n’est à noter. Elle reste statique. Après de nombreux relevés, je peux dire avec certitude que le diamètre de son cocon n’a aucunement changé. De même la taille, la forme et la couleur de ses tiges sont parfaitement similaires. Conclusion : soit notre expérience est un échec, soit son intelligence la pousse à rester immobile. En ce cas, nous devrions peut-être la libérer pour un temps de tous nos instruments et lui offrir la solitude. Assistants, veuillez noter cette idée et réfléchissez à cette possibilité. » Le docteur Oximur attendit que ses assistants acquiescent pour reprendre : « L’expérience d’aujourd’hui est portée sur la réaction du spécimen face à un stimulus lumineux. »

Enfin, Oximur révéla à la plante la sphère de lumière et, ne s’attendant pas à un tel miracle, eut un pas de recul lorsqu’elle se pencha vers sa main. Ça n’avait pas été un mouvement quasi imperceptible, non. Les trois tiges s’étaient très clairement avancées vers la source de lumière que tenait le docteur.

« Avez-vous vu cela ?

-Oui docteur, oui, nous l’avons vu ! Et tous les instruments aussi. Espoir s’est orientée vers la lumière, prouvant ainsi son intelligence et sa soif d’énergie. »

Ainsi, ils avaient réussi. Cette fois, le docteur ne pouvait plus en douter. Les calculs avaient eu raison. Cette nouvelle forme de vie était tout ce qu’il y avait de plus intelligente. Mieux encore, elle avait bougé avec une vivacité bien supérieure aux légendes des anciens. Eux qui décrivaient les végétaux comme des êtres patients, qui naissaient, grandissaient et vivaient si lentement qu’un œil nu n’aurait pu déceler le moindre mouvement. Et voilà qu’Espoir s’était presque jetée, du moins pour une plante, sur la source de lumière.

Prudemment, le docteur Oximur s’avança de nouveau vers la plante, la main dans son dos :

« Approche du spécimen, deuxième tentative. Je vais, cette fois, lui dévoiler la sphère nourricière avec plus de lenteur. Préparez-vous. »

Ainsi, prenant garde de présenter la sphère avec douceur, le docteur avança sa main centimètre par centimètre. Et, lorsque sa main se trouva à un décimètre de la plante, les tiges commencèrent à se pencher dans sa direction. « Incroyable. » Poussant son expérience jusqu’au bout, il se déplaça tout aussi lentement autour du piédestal. À chacun de ses pas, les tiges de la plante suivaient son mouvement. « Incroyable. » Le docteur ne pouvait cesser de s’émerveiller du succès de son expérience. Et tandis qu’il s’apprêtait à déclarer haut et fort que son expérience était une réussite indéniable, il réfréna son enthousiasme.

« Le sujet réagit aux stimuli lumineux en suivant le mouvement de la sphère nourricière. Cependant, il est encore impossible de dire si c’est une marque de son intelligence ou un simple réflexe. L’expérience n’est pourtant pas un échec total. Nous pouvons dire avec certitude que ces capacités sont bien supérieures aux résultats escomptés. De même, elles semblent bien au-delà des légendes. » Et, après un instant de contemplation, le docteur Oximur ajouta : « C’est assez pour le moment. Veuillez couper les enregistrements et refermer le dôme. »

* *

Au cinquième jour de ces expériences répétitives, le docteur s’approcha une nouvelle fois de la plante, la sphère de lumière à la main et, lorsqu’il la tendit, rien ne se passa. Contrairement à toutes les fois précédentes, Espoir ne bougea pas. Ses tiges restèrent parfaitement figées. Déçu, mais ne cédant pas à l’abandon, Oximur approcha un peu plus la source d’énergie, puis se déplaça autour du végétal. Toujours rien.

« Que disent les relevés ?

-Tout est en ordre, docteur. Les signes vitaux d’Espoir sont bons, sa terre est toujours chargée en minéraux et la sphère nourricière semble chargée en énergie. »

Finalement, ce spécimen n’était peut-être pas aussi réussi qu’espéré. Cependant, même si cette nouvelle tentative de forme de vie intelligente était un échec, il se devait de récolter le plus d’informations possible pour ses prochaines expériences. Sans compter que les multiples tests qu’ils avaient à réaliser, ses assistants et lui, étaient encore nombreux. Peut-être cette source de lumière n’était pas parfaite, peut-être que cette plante ne s’en nourrissait pas. Pourtant les propriétés de ce halo étaient proches de celles du soleil. La couleur pouvait être la raison, ou le rayonnement. Un signal d’urgence sonna dans le laboratoire :

« Docteur, vous devriez venir voir cela ! Les signaux énergétiques du spécimen semblent hors de contrôle. Les ordinateurs indiquent une hausse conséquente de son activité.

-Qu’est-ce que cela signifie, s’emporta le docteur, ne voyez-vous pas qu’elle reste immobile. Les relevés concordent ?

-Tout à fait, mais, je ne comprends pas, c’est comme si la plante bougeait sans bouger. »

Quelque peu perdu, le docteur décida d’abandonner là le spécimen et de rejoindre son assistant. Ce dernier était intelligent, mais un peu distrait et un peu d’aide semblait de mise. Or, lorsqu’il commença d’éloigner la sphère, Espoir projeta ses trois tiges qui vinrent l’encercler et l’enserrer. Puis, à vu d’œil, elles grossirent et se solidifièrent. Le docteur n’eut que le temps de retirer sa main avant qu’une dizaine de nouvelles tiges viennent rejoindre les trois premières.

« Docteur, je crois que nous avons la preuve de son intelligence, déclara calmement l’un des assistants encore sous le choc.

-Oui, oui, je crois que vous avez raison. »

Oximur était tout autant sous le joug de la stupeur que tous les membres de son laboratoire. Il contemplait Espoir, immobile et émerveillé. L’assistant préposé aux signaux énergétiques du spécimen indiqua que ses relevés étaient redevenus normaux. La plante avait cessé son activité inhabituelle. Pour le docteur, il n’y avait qu’une seule explication possible. Suite aux cinq jours d’expériences, la plante avait dû comprendre que la sphère qui lui offrait une lumière semblable à celle du soleil finirait par lui être retirée. Aussi, avait-elle accumulé l’énergie qu’on lui fournissait, au lieu de l’utiliser à la suivre, pour accroître sa vitesse de croissance, et emprisonner la sphère nourricière.

« Elle est intelligente, chuchota le docteur. »

* *

Le dôme de verre qui avait laissé grandir la plante ne lui suffisait plus. Depuis qu’Espoir s’était emparée de la sphère, sa croissance s’était accélérée. Aussi, l’une des plaques de métal qui couvraient entièrement la surface de la planète avait été ôtée. Désormais, après des siècles, un petit carré de terre pouvait sentir le souffle du vent et le soleil le réchauffer. Obtenir cette autorisation n’avait guère été facile. Ce monde de métal était un présent fait par les anciens et cette transformation était vue comme une défiguration pour certains. Mais la voie scientifique avait su convaincre les plus réticents.

Maintenant que le docteur Oximur avait la preuve que son expérience était une réussite totale, il était un peu perdu. Jamais, il n’aurait cru obtenir une preuve que son spécimen était une nouvelle forme de vie intelligente aussi rapidement. Il devait réfléchir à de nouvelles expériences, à de nouveaux tests.

En franchissant la porte qui le menait au nouveau jardin, il eut la désagréable occasion de rencontrer le Responsable de la Surveillance de la Croissance du Spécimen Intelligent en Étude. Un titre aussi long ne présageait rien de bon. Et, selon ce dernier, la plante grandissait bien trop vite, la place qu’elle prenait devait être drastiquement réduite. Il était parfaitement inutile de conserver le spécimen si grand, sachant que de nombreuses mesures pouvaient être relevées à plus petite échelle. Ensuite, utilisant son communicateur, le responsable appela deux agents qui entrèrent armés de cisailles.

« Attendez, intervint le docteur, j’aurais dû être prévenu avant ce type d’intervention.

-Vous l’avez été. À l’instant. Maintenant, veuillez reculer, je tiens mes directives d’en haut. Et puis, vous pourrez ainsi étudier son système de cicatrisation. »

Impuissant, le docteur abandonna. Ainsi, il n’était plus maître de son expérience. D’autres en avaient pris le contrôle. Des gens effrayés par sa création.

Pourtant, le lendemain, lorsqu’il revint, le résultat qu’il vit était loin de ressembler à ce à quoi il s’était attendu. Loin d’être redevenu un bulbe avec trois maigres tiges jaunes vertes, entouré d’un flot de lianes mourantes, Espoir était parfaitement similaire en taille. Seule la pointe de ses tiges s’était tragiquement assombrie, comme épuisée, vidée de toute vie. En s’approchant davantage, le docteur nota que la couleur globale de la plante semblait plus foncée. Il ignorait totalement quel traitement elle avait subi, mais les résultats étaient intéressants, ainsi que l’avait ironiquement dit le responsable de surveillance. Et, tandis que le docteur continuait ses observations, le loup montra le bout de sa queue.

« Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Qu’avez-vous fait docteur ?

-C’est à vous de me le dire, je viens tout juste d’arriver et voyez ce que j’ai découvert. » Oximur était honnête, il n’était en rien coupable et ne savait pas non plus ce que les agents du R.S.C.S.I.É avaient fait.

« Ne soyez pas ridicule ! Mes agents ont réduit la taille de votre plante, et voilà qu’elle est de nouveau comme hier.

-Voilà un phénomène d’intérêt que je me dois d’étudier. Agents, qu’avez-vous fait précisément hier ?

-Rien d’exceptionnel.

-Vous avez coupé les tiges de la plante et puis quoi ? Vous l’avez nourrie ? Arrosé ? Dites-moi, je dois savoir.

-Rien de tout ça, on a sectionné chaque branche à la base et on est parti.

-Rien, rien… »Le docteur Oximur était tout ce qu’il y avait de plus perplexe. « Bon maintenant laissez moi, j’ai du travail. Si vous n’y voyez pas d’objection, Responsable de la Surveillance de la Croissance du Spécimen Intelligent en Étude. » Et n’attendant pas son accord, le docteur fit venir ses assistants.

* *

Les relevés étaient formels, Espoir avait réussi à ressouder les coupes qu’elle avait subies. Comme la première fois, elle avait dû engranger une quantité impressionnante d’énergie avant d’y puiser la force de créer de nouvelles tiges pour rejoindre ses bras mourants. Il y avait des marques de cicatrisation presque imperceptibles, mais pas invisibles. Pourtant les jeunes pousses ne semblaient pas plus récentes que le reste des tiges ainsi rattachées, leur couleur était en tout point identique.

Pour ce qui était des pointes noircies, il n’y avait qu’une explication plausible, du moins pour le docteur. N’ayant pas acquis suffisamment de réserves, la plante avait trouvé une autre source d’énergie à sa disposition. Ainsi Oximur fit noter à ses assistants que le spécimen était capable de réabsorber sa propre vie pour la rediriger là où il en avait besoin. Dans ce cas, la plante avait tué ses extrémités pour pouvoir ressouder le plus de branches possible. Ainsi, elle était capable de réflexion. Se sacrifier en partie pour s’unir à nouveau.

De plus, les derniers relevés révélaient une solidification de ses couches extérieures. Suite aux blessures subies, Espoir avait tenté de se prémunir contre les lames en se créant une armure naturelle. Malheureusement, elle ne suffirait pas en cas de retaille.

Pour l’aider, le docteur Oximur décida de lui apporter une demi-douzaine de sphères nourricières et de les enterrer à moitié dans le sol autour du bulbe. Ainsi, elle pourrait y puiser l’énergie qu’elle s’évertuait à aspirer de ses propres branches.

* *

Les premiers jours qui suivirent furent plus que concluants. Ainsi que le docteur l’avait espéré, les extrémités mourantes de la plante cessèrent de progresser. Mieux encore, elles reprirent des couleurs. Cependant plusieurs faits étonnants furent notés. Le spécimen intelligent avait créé de nouvelles tiges qui s’étaient appropriées les sphères en les emprisonnant, s’aidant ainsi d’une source extérieure pour se soigner. Mais le plus beau ne fut pas sa capacité à renforcer sa solidité ni la variation de teintes qu’elle prenait. Un bourgeon était apparu au cœur de ses trois tiges originelles.

Chaque matin, chaque après-midi, le docteur s’était émerveillé en voyant grandir cette boule verte jusqu’à ce qu’elle devienne une grande fleur aux pétales violet et jaune. La communauté scientifique s’était alors de nouveau intéressée à son projet. Malheureusement, les coupes continuèrent et les agents de taille finirent par avoir l’idée d’ôter les chutes.

* *

Les relevés étaient très clairs, la plante absorbait de l’énergie grâce à ses fleurs qui avaient commencé à pousser même le long des tiges désormais presque coupées à ras. Le problème était que la croissance d’Espoir s’était amenuisée.

« D’où pensez-vous que cela puisse provenir, interrogea le docteur à ses assistants ?

-Il est possible que ces fleurs soient une forme d’évolution, commença un assistant, un changement cellulaire important qui lui demande beaucoup d’effort. Elle préférerait donc se concentrer sur cette évolution plutôt que sur sa croissance. Du moins, momentanément.

-Oui, reprit un autre, elle serait en train de tester l’efficacité de ces fleurs. Notez les différentes couleurs présentes. Elle cherche peut-être quelle est la meilleure solution, celle qui capte le plus d’énergie. Espoir est intelligente, ça ne fait plus aucun doute, mais elle ne possède aucune connaissance, excepté celles acquises de manière empirique.

-Ou alors, elle a peur, finit par dire un troisième assistant.

-Comment cela, demanda le docteur avec un intérêt décuplé ?

-Ce n’est qu’une supposition. Mais si je me trouvais à sa place, luttant pour grandir et voyant que jour après jour, on vient pour me tailler en pièce, j’aurais peur.

-Et si vous aviez un moyen d’engranger de l’énergie pour la relâcher sauvagement alors… Vite ! »

Le docteur Oximur n’attendit pas de voir si ses assistants le suivaient pour s’élancer hors de son laboratoire. Il courait aussi vite que le lui permettaient ses jambes et les innombrables sas de sécurité. La curiosité piqua chaque scientifique qu’il croisa et beaucoup d’entre eux le questionnèrent. Là encore, il ne s’arrêta pas.

Arrivé au bout du dernier couloir, il vit une troupe d’une dizaine d’agents de sécurité massée devant la dernière porte qui le séparait d’Espoir. Lorsqu’il tenta de passer au travers, l’un d’eux le rebuta violemment.

« Interdiction de passer !

-Je suis le docteur Oximur, je vous somme de me laisser passer !

-Interdiction de passer !

-Ne soyez pas ridicule, je suis en charge de ce projet. S’il se passe quelque chose derrière cette porte, je dois le savoir.

-Docteur Oximur, finit par dire l’un des agents, le supérieur visiblement. Votre spécimen est devenu fou. Elle s’est attaquée aux agents de taille. La situation est sous contrôle pour le moment, vous pouvez aller voir mais ne vous approchez pas. Je mets deux agents à votre suite, au cas où vous voudriez faire des folies.

-Oui, oui, si vous voulez, mais hâtons-nous. »

Ce que le docteur vit alors était bien pire que ce qu’il avait cru. Espoir ne s’était pas contentée de se renforcer, elle avait fini par passer à l’attaque. Comme lorsqu’il avait voulu retirer la sphère nourricière au bulbe qu’elle était, la plante avait allongé ses lianes pour s’emparer des agents de taille. L’un avait était entièrement détruit, ses pièces gisaient au sol, broyées. Le deuxième tenait encore debout uniquement parce la plante le maintenait ainsi. Mais ses bras étaient écrasés et de l’huile s’en échappait. Des étincelles sortaient de sa tête. Ainsi, son assistant avait eu raison. Apeurée par les découpes quotidiennes, elle avait dû s’enfermer dans le désespoir avant de réagir.

Les robots de sécurité finirent par entrer dans le petit carré de terre, prévu uniquement pour Espoir, des lances flammes à la main.

« Attendez, vous ne pouvez pas ! Elle ne faisait que se défendre.

-Reculez docteur, votre spécimen s’est attaqué à nous. Nous avons pour ordre de la détruire.

-Non ! Attendez, vous dis-je. Ce sont les agents de taille qui…

-Faites le sortir. »

Le docteur entendit très clairement le feu jaillir des armes des robots de sécurité sans pouvoir rien faire. Si son corps lui avait permis de verser une larme, il l’aurait fait. Cependant, il ressentit le pincement au cœur et la tristesse de voir s’éteindre une vie. D’autant que celle-ci était intelligente et surtout organique, comme les anciens.

* *

Voilà une trentaine de jours que la question d’Espoir avait été réglée. Suivant les hautes instances, la plante avait été brûlée, puis la plaque de métal avait retrouvé sa place, recouvrant ainsi une nouvelle fois la surface du monde dans son intégralité. Le docteur Oximur ne s’en était toujours pas remis. Et l’idée d’une nouvelle tentative n’était pas à l’ordre du jour.

Ce fut le trente et unième jour qu’il eut l’agréable surprise de voir, se faufilant par les interstices entre les plaques, des fleurs. Elles étaient belles, colorées et vivantes. Mais avant d’avoir eu le temps de s’accroupir pour en toucher une, une troupe de robots de sécurité vint la couper puis la brûler. Cette nouvelle tragédie fut cependant effacée par la découverte de nouvelles fleurs qui avaient poussé ici et là. « Elle se bat pour vivre, pensa le docteur. » Plein d’espoir malgré ses congénères qui luttaient contre l’effort désespéré de la plante, il se dirigea vers son bureau. Et, avant même d’atteindre son étage dans la tour principale, il fut interpellé par des scientifiques qui l’invitèrent à venir aux fenêtres. De là où il se trouvait, le spectacle était incroyable. Des milliers de fleurs avaient poussé le temps qu’il entre dans le bâtiment et suive ses camarades.

Avide de vivre, Espoir avait lancé une invasion du sol par ses fleurs. Le docteur ne savait pas ce qu’elle cherchait à faire, mais il pressentait que son prochain mouvement serait d’ampleur. Il savait désormais comment elle fonctionnait, ces fleurs qui poussaient lui servaient à capter de l’énergie. Pourtant, elle ne faisait rien d’autre que de multiplier ces touches de couleurs. Les agents de sécurité, quant à eux, s’activer à tout couper et à tout brûler avant de souder les plaques de métal entre elles. Que pouvait bien faire la plante ? Elle ne cherchait même pas à se défendre.

Les autres citoyens qui passaient dans les environs ne savaient pas comment réagir face à cette invasion organique. Certains, effrayés par les exterminateurs, reculaient, tandis que d’autres, poussés par la curiosité, ne pouvaient détourner leur regard de ces pétales qui sortaient du sol.

Les agents de sécurité de la tour principale finirent par découvrir l’attroupement qui s’était formé près des fenêtres, et le dissipèrent. Ainsi, et comme tous les autres, le docteur dut rejoindre son poste.

* *

La journée avait été longue. Tiraillé entre la curiosité, le désir de voir et l’interdiction d’approcher les fenêtres, le docteur n’avait pu se concentrer sur la moindre tâche. De même que ses assistants qui n’avaient cessé de tourner en rond, aussi inquiets que lui. La plupart ne rêvaient que de voir Espoir survivre. Les autres se demandaient s’ils n’avaient pas libéré une créature incontrôlable et mis en danger le monde entier. Après tout, si les premiers héritiers des anciens avaient fait recouvrir le monde d’une couche protectrice, il y avait bien une raison. Les plantes devaient être un danger. À ces derniers, le docteur répondait que…Le sol se mit à trembler.

« Vous avez senti ?

-Sûrement nos voisins qui tentent de créer des armes contre Espoir. Vous savez très bien que cette science ne nous est pas acquise. La paix règne depuis… »

Une nouvelle secousse, plus puissante que la précédente, fit trembler la tour avec une telle violence que les tables se déplacèrent, des objets en tout genre volant en tout sens. Le docteur et ses assistants, pourtant d’un équilibre remarquable, chutèrent. Une ombre passa sur leur laboratoire. Quelque chose avait bougé, là dehors, quelque chose de gros. Malgré les tremblements, le docteur se dirigea vers la fenêtre en rampant.

Ce qu’il vit alors dépassait l’entendement. Espoir, autrefois un petit bulbe qui tenait dans un dôme de verre, était en train d’emprisonner la tour principale de la cité avec des branches aussi grosses que des camions. À leur teinte, le docteur était sûr qu’elles profitaient d’une plus grande résistance encore que lors de sa première attaque, ou défense selon le point de vue, contre les agents de taille. Et sa progression n’était pas encore achevée. La plante utilisait la tour comme base pour s’étendre en hauteur.

Un signal d’urgence retentit dans les murs. Tous savaient dès lors quoi faire. Oximur, comme les autres, s’empressa de rejoindre les tunnels d’évacuation. Il avait trop hâte de voir ce qu’était devenu son spécimen pour attendre plus longtemps. Il en vint à bousculer deux ou trois de ses collègues pour atteindre l’entrée plus tôt. Aussitôt, il croisa les bras sur sa poitrine et sauta. Il se laissa glisser jusqu’en bas où, sans attendre, il courut vers la sortie.

Espoir s’était frayée un chemin au travers même des plaques de métal pour devenir un arbre gigantesque. Une ombre sombre recouvrait désormais un large périmètre, tant la couverture feuillue que la plante s’était créée était épaisse. D’innombrables fleurs avaient poussé ainsi que d’étranges fruits jaunes. Oximur aurait aimé s’approcher de cette dernière création, mais un cordon de sécurité fut rapidement mis en place, l’obligeant à reculer. Il s’exécuta et put ainsi contempler l’expansion de l’ancien bulbe. Elle prenait d’assaut toutes les tours de la ville et étendait son manteau feuillu.

Des cris retentirent non loin. Les agents de sécurité qui tentaient tant bien que mal de stopper Espoir s’éloignaient de leur cible. Une fumée jaune planait autour d’eux, tandis qu’ils semblaient fondre avec une extrême lenteur. Horreur, la plante avait trouvé un système d’attaque des plus efficaces. Le docteur en eut la preuve lorsqu’il aperçut l’un de ces fameux fruits tomber du ciel et exploser près d’autres agents. Le résultat fut identique. Ils se mirent à hurler et à fondre. Dès lors le code d’urgence Alpha fut déclaré et tous les robots se mirent à se diriger vers leur dernier point de repli, les tunnels.

* *

Alors que tous s’enfonçaient dans les vieux souterrains aux parois rouillées où des filets de toile pendaient, la colonne s’arrêta et un agent de sécurité vint chercher le docteur Oximur. S’exécutant, il suivit son guide vers une grande salle carrée. De vieux postes d’études aux chaises détruites occupaient la majeure partie de la pièce. Mais le plus important ne venait pas de là, ni du fait que des lumières luisaient faiblement. Mêlé d’angoisse et de joie scientifique, il s’approcha doucement de ce que l’on voulait lui montrer.

Là, dans cet étrange laboratoire souterrain, où comme dans le reste des tunnels de maigres rayons de soleil filtraient, des squelettes gisaient sur le sol, étaient étendus sur l’un des appareils de mesure ou même assis contre une paroi. « Les anciens, ne put-il s’empêcher de dire. Nous avons retrouvé les anciens. »

* *

Le plus compliqué avant de pouvoir rallumer les ordinateurs avait été de retrouver leur source d’énergie. La technologie des anciens était réellement dépassée. Ainsi les espoirs d’Oximur et de ses confrères s’étaient réduits. De longues heures de recherche des champs électriques les avaient menés au travers du dédale de couloirs, droit vers une sortie.

Leur seul espoir se trouvait donc à l’extérieur. Une équipe d’agents de sécurité, de techniciens et de scientifiques fut donc montée pendant que la population prenait ses quartiers où elle le pouvait. Le docteur ne fut pas de celui sélectionné pour cette sortie. Il préférait se charger d’étudier les derniers vestiges de la civilisation des anciens.

* *

Le courant finit par revenir, les lumières encore en état s’allumèrent et les ordinateurs s’éveillèrent. Le docteur ne fit aucunement attention aux acclamations qui retentirent dans le couloir. Ces lumières ne suffiraient pas à les maintenir en vie, mais, au moins, certains pouvaient désormais trouver une solution pour recharger tout le monde. En effet, les panneaux solaires qui recouvraient les robots n’étaient d’aucune utilité au cœur de ces ténèbres qui les entouraient.

Le docteur demanda de l’aide pour évacuer en douceur les squelettes et s’installa sur l’un des ordinateurs. Les autres scientifiques l’imitèrent. Ils devaient trouver une solution pour sortir. Même s’il aimait Espoir, il était responsable de cette situation, il devait trouver un moyen de la combattre.

* *

Durant ses premières recherches, le docteur ne trouva pas trace de solution, uniquement l’horreur et le désespoir.

« Que vous arrive-t-il, l’interrogea un autre scientifique inquiet ?

-La vérité. Nous sommes…dans un tombeau. Le dernier bastion de résistance des anciens.

-Qu’est-ce que cela signifie ? » L’un des dirigeants de la civilisation surveillait les savants depuis le début de leurs recherches. « Qu’est-ce que vous racontez ? De quelle résistance, s’agit-il, contre quoi les anciens se sont battus ?

-Contre nous…

-Alors, ça marche ? » L’un des techniciens envoyés dehors arriva sans crier gare. « On est tombé sur de vieilles hélices qui fonctionnaient avec l’énergie éolienne. Elles avaient été saccagées, mais après en avoir réparé deux on m’a envoyé vous pré… »

Le courant cessa de fonctionner et bientôt, des hurlements se firent entendre juste derrière le technicien. Les autres membres de l’équipe arrivèrent en hâte, affolés.

« La plante, elle est derrière nous ! Elle s’en est prise aux hélices.

-Calmez-vous, le coupa le dirigeant ! Faites moi votre rapport.

-On est sorti comme on nous l’avait demandé. On a suivi les champs électromagnétiques jusqu’aux éoliennes et quand on les a réparés, la plante s’est mise à bouger. Des branches se sont dirigées vers les hélices et les agents de sécurité sont restés pour nous laisser partir. » Le scientifique était affolé, il parlait d’une traite. « Quand on est revenu sur nos pas, il y avait de la mousse.

-De la mousse, réagit Oximur ? Où ça, dîtes moi tout.

-Oui, j’en ai vu aussi, intervint le premier technicien. Quand j’ai marché dessus elle a frissonné.

-Nous sommes fichus, le cycle recommence.

-Comment ça, se fâcha le dirigeant, quel cycle ?!

-Les anciens nous ont créés, nous les avons détruits. Nous avons…j’ai créé cette plante. Cette mousse doit être une sorte de détecteur qui mènera Espoir jusqu’à nous. »

Et, comme en écho à ses paroles, de nouveaux techniciens et scientifiques entrèrent en hurlant dans le laboratoire. « La plante, elle…

-Elle arrive. »

Ils fermèrent la lourde porte du laboratoire, espérant que cela l’empêcherait de passer, mais le docteur Oximur savait que c’était impossible. Il avait vu la plante grandir et envahir la tour dans laquelle il travaillait. Il l’avait vue la première fois attraper cette sphère nourricière. Et il avait vu comment elle réfléchissait pour évoluer. Cette porte, aussi solide qu’elle pouvait l’être, ne résisterait pas.

Laissant ses confrères reculer, il s’avança. Il était responsable de cette situation, il serait le premier à en payer le prix. Cependant, à mesure que de fines tiges parvenaient à se frayer un chemin, un espoir naquit en lui. Cette plante était intelligente, peut-être parviendrait-il à communiquer. Il savait comment la vie des anciens s’était achevée. Leur cycle devait être différent. Du moins, est-ce ce qu’il crut avant de voir la porte sauter sous la force de cette nouvelle nature.

Ces branches se dispersèrent à l’assaut de la pièce et de ses habitants. Mais, tandis que le docteur se protégeait de ses bras, il vit Espoir s’arrêter. Il baissa alors les bras et la contempla. Elle n’avançait plus, mais ses tiges continuaient à bouger.

« Nous sommes sauvés, osa quelqu’un ?

-Chut ! »

Le docteur fit un pas en avant :

« Nous ne sommes pas vos ennemis. Nous sommes désolés pour tout ce que nous vous avons fait subir. » Il lui tendit la main en un geste qui lui parut étrange. « Me comprenez-vous ? »

La plante recommença à s’agiter, provoquant de nouveaux cris stridents dans la pièce. Elle enveloppa le docteur, faisant glisser ses lianes à l’intérieur même du corps du robot, jusque dans son cerveau mécanique. Puis elle l’abandonna pour plonger sur l’un des squelettes des anciens. À son tour, elle l’envahit et pris entièrement possession de ce corps mort depuis longtemps. Ses lianes tissaient des muscles autour des os et bientôt un humain comme le docteur en avait vu sur l’ordinateur se leva. Celui-ci était entièrement végétal, des feuilles recouvraient son corps là où des panneaux solaires se voyaient sur les robots. Et ses yeux n’étaient autres que deux magnifiques fleurs d’un bleu brillant.

Espoir s’approcha du docteur et lui tendit la main à son tour. De longues secondes de tensions s’instaurèrent avant que le docteur se laisse porter par le vieux code implanter par les anciens. Ainsi, les deux entités se serrèrent la main. Lorsqu’ils se séparèrent, la plante tendit l’autre main, paume fermée. Et en l’ouvrant, elle laissa voir à tous qu’elle offrait à son créateur un nouveau bourgeon.

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