Entretien avec le commanditaire

La seule pièce éclairée par la lueur des torches se révéla à lui quelques pas plus loin. D’environ cinq mètres sur six, elle s’encombrait d’un lourd bureau en son centre, de nombreuses étagères et d’un long plan de travail. Le tout couvert de parchemins en désordre et autres vélins à moitié roulés. En somme, elle se présentait comme l’atelier typique d’un mage en pleine frénésie de recherche.
Le commun des mortels imaginait souvent cette élite comme parfaitement sure d’elle, minutieuse, et soignée. Ce qui s’avérait exact, au moins en partie. Cependant, lorsque leur travail les égarait aux abords d’une nouvelle trouvaille, les pratiquants de sa connaissance perdaient parfois la cohérence de leur esprit. Avant d’en reprendre le contrôle.
Visiblement, le chercheur sur qui enquêtaient les archilleurs et les pillards du Grand Cru avait quitté les lieux dans cet état second.
D’un pas léger, Allir pénétra finalement dans l’antre et salua l’assemblée. Sur sa droite, deux hommes cessèrent momentanément leurs lectures pour lui répondre, en silence. Parsemés dans la pièce, quatre gardes armés firent de même. À son tour, une dernière personne, face au mur, les bras croisés dans le dos, se détourna de son occupation pour l’accueillir.
« Monsieur Journan, déclara le commanditaire de toute cette étrange affaire, je vous attendais plus tôt.
– Vous êtes déjà le deuxième à me le dire aujourd’hui, merci, enchaîna le dragonnier avec un sourire narquois. Par contre, les gens m’appellent habituellement Allir, si vous pouviez…
– Je préfère monsieur Journan.
– Dans ce cas, s’agaça-t-il malgré lui, entrons plutôt dans le vif du sujet ! Dîtes-moi ce que signifie cette histoire d’énigme. Pourquoi nous avoir fait perdre notre temps avec ça ?
– Considérez cela comme une présélection. Quiconque ne se trouve pas en mesure de répondre à cette simple attente sera incapable de poursuivre l’enquête. Je connais notre homme, monsieur Journan, il est féru de rébus, de charade, de logogriphe et tout autre forme de devinette. Je pense donc que malgré sa disparition, il a laissé des pistes dans son sillage. Seul un esprit suffisamment affûté et nourri des connaissances des anciens saura le dénicher.
– Voilà qui est pour me plaire, reconnu Allir, monsieur… Bambleck ! C’est bien cela ? Hum, si vous me révéliez plus sincèrement qui vous êtes. Nous ferions de considérables progrès. Et j’aime savoir pour qui je travaille.
– Pour votre curiosité, voyons. N’est-ce pas ce qui vous nourrit ? Cela, et votre soif de connaissances, de secrets oubliés. »
Tous deux savaient qui maîtrisait la situation, et qui pouvait ouvertement afficher son mécontentement. Aussi, Allir souffla d’exaspération sans se cacher.
Enfin, l’archilleur se décida à se concentrer sur la vraie raison de sa venue : étudier les lieux et retrouver le mage en question.
« Bien, conclut Allir, dans ce cas, je crois que j’ai déjà pris assez de retard. Si vous voulez bien m’excuser », dit-il en étirant exagérément les lèvres.
Mesquinement, il n’attendit aucune réponse avant de s’exécuter. Il se détourna du riche commanditaire, et embrassa une nouvelle fois la salle du regard. De nombreuses heures de lecture et d’observation s’annonçaient.

suivant2        

n'hésitez pas à laisser un commentaire