Au sommet de la tour

Allir et Voliette atteignirent leur destination au matin, alors que l’astre du jour étirait paresseusement ses rayons sur cette facette du monde. À cette heure, l’univers se scindait en deux parties distinctes, entre ciel embrasé et ténèbres assoupies. Perdue au sein de ces dernières, la Tour du Soleil Vert disparaissait dans l’abîme de la nuit. Sa silhouette décharnée, née de l’esprit tordu de mages oubliés et frappée par l’abandon, se devinait dans les ombres.
Au cœur de cette obscurité persistante, comme un phare au milieu d’un océan agité, battu par des vagues déchaînées, brillait pourtant une vive lueur émeraude. Puisant dans la force du soleil, une pierre colossale nourrissait ses mille facettes, au sommet de la tour, avant de projeter ses propres faisceaux jusqu’aux montagnes environnantes. La campagne vallonnée en contrebas se piquetait de disques verts aux nuances tantôt légères, tantôt profondes.
La main droite posée contre la vitre de son habitacle, Allir baissa la tête en direction du parchemin déplié. Pour les avoir lus et relus, il en connaissait chaque mot, chaque ponctuation, chaque phrase. Chaque partie du mystère. Toutefois, leur signification se perdait dans un brouillard encore persistant. Du fond de son cœur, l’archilleur espérait avoir trouvé de quoi le dissiper. Après tout, qui serait-il s’il ne parvenait pas à répondre à cette invitation ? Lui qui se nourrissait des légendes et ravivait les souvenirs des civilisations oubliées. D’autant plus qu’il sentait que le commanditaire de cette affaire le ciblait tout particulièrement. Peut-être à tort.
Confiant à Voliette le soin de les rapprocher de leur destination, Allir se perdit une fois de plus sur les lignes du parchemin.
La première partie ne laissait aucune place au doute dans son esprit. Il était de notoriété publique que les mages et autres prestidigitateurs gardaient jalousement le secret de leurs tours, qu’ils se limitent à la simple illusion ou relèvent de la puissance des arcanes.
La deuxième en revanche offrait bien des possibilités. Le soir n’étire-t-il pas les ombres aussi sûrement que le jour ? Cependant, à la nuit tombée, les ténèbres règnent avec trop d’assurance pour être dissipées. À l’opposé, le feu n’estompe que trop faiblement les silhouettes. Certes, sa danse, rythmée par la volonté des flammes ondulantes, laisse rêveur quiconque se perd dans sa contemplation. Toutefois, cette beauté ne change en rien l’incompatibilité avec l’énigme. La lumière, en revanche… Guidé par cette idée, Allir avait songé à la plus éclatante et la plus puissante d’entre elles. Celle du soleil. De l’astre du jour naît la seule clarté capable d’annihiler toute forme de pénombre. Au lever, il lutte contre la nuit, retrouvant peu à peu son emprise sur le royaume endormi. Arrivé au point culminant de la voûte céleste, aucune ombre ne résiste à ses assauts. Enfin, fatigué de son combat, il part se coucher, étirant ainsi les premières marques de la lune.
Cette partie de l’énigme vaincue, la troisième et dernière ne put s’opposer longtemps à la sagacité d’Allir. Ses recherches sur les habitudes des mages avaient fini par triompher de son épreuve. Quiconque avait étudié ces maîtres des arcanes connaissait l’histoire des tours du soleil. Aussi nombreuses que les couleurs de l’arc-en-ciel, elles étaient nées de la jalousie des membres d’un même groupe. Ensemble, ils avaient façonné une pierre aux mille facettes, capable de transformer la lumière du jour. L’un d’entre eux, avide de gloire et de renom, s’était emparé de cette merveille pour la déposer au sommet de sa demeure. Les autres suivirent rapidement, et recréèrent autant de cristaux géants que de magiciens.
Ne restait donc à l’archilleur qu’à trouver la couleur associée à l’énigme. Seul le vert pouvait à la fois se tenir sur un pied, et onduler paresseusement sous terre.
Guidé par l’assurance du bien-fondé de sa réponse, Allir observa la Tour du Soleil Vert.

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