À l’auberge

Deux jours ! Allir marchait dans la ville depuis deux jours à la recherche de la bonne auberge. Ses pas l’avaient mené du sud au nord, de l’est à l’ouest, sans parvenir à dénicher le lieu espéré. La veille, il avait pourtant cru atteindre son objectif. À sa plus grande surprise et au nom de la plus extravagante improbabilité, il existait bel et bien, entre les murs de la cité de Montcallord, une auberge des charrettes. Galvanisé par sa découverte et gonflé par l’étrange fierté née d’une chance insolente, il s’était lancé dans l’établissement, pour en ressortir plus déconfit que jamais. Qui aurait cru qu’autant d’hostelleries, de tavernes et autres gîtes avaient pris pied dans cette ville ?
Pourtant, rien de moins évident pour qui considérait la notoriété de Montcallord. Cité prospère et véritable plaque tournante du commerce, elle pouvait se targuer de sa richesse et de son importance dans le royaume. Réputée pour son artisanat, et plus particulièrement ses poteries, elle se situait près de la frontière de deux pays voisins, et non loin des ports de la mer Topaze.
Prise, conquise et perdue par de nombreuses civilisations au fil des siècles, Montcallord se nourrissait de cultures multiples, d’inspirations variées, et d’aspirations diverses. Son passé et son mélange abreuvaient son art et sa créativité.
Amoureux de cette ville, Allir maudissait malgré lui ces traits précis, qui la rendaient plus peuplée et plus développée que la capitale même du territoire. Le pas lourd, les épaules basses, il savait n’avoir plus guère de chance dans sa course. Davantage poussé par le désespoir que par le désir de victoire, il poursuivait toutefois ses recherches, un pied après l’autre sur les pavés de Montcallord.
Au détour d’une rue, une toute petite place s’ouvrit à lui. Frappé une seconde par la surprise, la beauté et la sérénité qui régnaient en ces lieux prirent rapidement le dessus. Malgré ses quelques mètres de largeur, le sentiment d’étroitesse n’existait pas. Encadré par des maisons à colombage d’un ou deux étages, un chêne étirait largement ses branches, pour accueillir les visiteurs et les protéger des troubles extérieurs. Sa voûte abritait une verdure luxuriante et quelques fleurs ouvertes ou qui attendaient encore leur heure.
Avec un petit froncement de sourcils, Allir se demanda où il pouvait bien se trouver, et qui habitait ici. Puis il se laissa imprégner par ce lieu, gouverné par une paix à l’état pur, comme hors du temps. Ses yeux, embrassant la scène dans son ensemble, se figèrent sur une enseigne. Ses lettres, ancrées dans le bois et assombries par un souffle enflammé, ressortaient mal sur le panneau marqué par les âges. Quelques petites tables rondes attendaient bien devant la porte, entourées de deux ou trois tabourets bas, mais de là à considérer cette bâtisse par le mot écrit…
Dubitatif, ou rejetant la possibilité de l’achèvement de sa quête, d’autant plus de cette façon, Allir s’approcha du panneau où il put lire :
« L’auberge… de… des. L’auberge des chaaaaar, des char. Des charades ? »
Après un mouvement de recul, il reprit :
« L’auberge des charades ? »


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