Remodelé

Le son de ses pas se répercutait en échos interminables dans les couloirs, comme les rires moqueurs des esprits enfantins. Le métal de son armure tintait à ses oreilles et alourdissait chacun de ses mouvements. Les murs autour de lui, mués par les martèlements ininterrompus des ouvriers, ne cessaient de changer. Autrefois entouré de bois, le soldat voyait son univers envahi par la pierre. Les murs et le sol du château, sauvagement meurtris, disparaissaient au profit d’un antre froid d’un autre monde. Des piliers gris et droits prenaient la place des colonnes richement sculptées par les plus fins artisans du siècle dernier. Les parquets aussi ensoleillés que le miel des jardins d’Inhdour disparaissaient sous les dalles. Bientôt, d’épais tapis viendraient recouvrir les allées qu’il foulait, enterrant plus encore ses souvenirs. Les arches, meurtries, perforées, accueillaient les structures qui viendraient effacer les dernières fresques de l’ancien temps. Et Okrone se fermait à ces changements et continuait d’avancer.

Progressant dans ces couloirs si connus et pourtant si étrangers, le chevalier ne put détourner les yeux des ouvriers détachant l’ancien drapeau de la royauté. Ainsi chutait le légendaire et féroce Chelgron, ce tigre blanc rayé de bleu. Ainsi s’élevait ce pauvre chat écrasé par le blason du grand Droa’k, un losange encerclé d’un halo bleuté. Tout le château prenait ces nouvelles couleurs. Sa propre armure, qui remplaçait son ancien plastron de cuir, portait le blason nouvellement choisi par la reine. Soldat valeureux et serviable, le choix de son avenir n’appartenait pas à Okrone. Jamais il ne contredirait sa reine ni ne la critiquerait. Ses désirs étaient des ordres et il se pliait à chacun d’eux, sans questions. Cependant, il ne pouvait empêcher une certaine mélancolie de l’investir en voyant son passé s’estomper.

Il rejoignit finalement la salle du trône. Sa reine, fièrement assise, laissa l’homme qui la secondait lui murmurer quelques mots à l’oreille. Le prêtre de Droa’k venait sans doute de lui souffler le nom de celui qui s’avançait. Comme si la reine pouvait douter de qui répondait à son propre appel. Vingt ans de loyaux services, elle n’ignorait pas qui était Okrone.

Arrivé au pied du trône, il inclina la tête, posa les doigts sur son front et se redressa.

« Ma reine, entama-t-il avant de se faire couper par le prêtre de Droa’k.

-Votre Majesté, vous ne devriez pas laisser votre obligé prendre la parole sans votre consentement. D’autant plus lorsque ce dernier n’a pas daigné ployer le genou devant votre grandeur. Chevalier Okrone, l’impertinence est sévèrement punie par le grand Droa’k. N’oubliez pas qu’il est notre gardien et qu’il veille sur chacun de nous. Pour que votre âme s’éveille à ses côtés, vous devez être juste et obéissant.

-Kahang’krach, il suffit. Je crois que notre valeureux Okrone a compris son erreur et saura la corriger. N’est-ce pas Okrone ? »

Depuis peu, la reine s’adressait à tous ses  »sujets » de cette manière ostentatoire et chacun devait y répondre pareillement. Il ne la reconnaissait plus. Pourtant, il écouta l’ordre qui venait de lui être donné. Il inclina de nouveau la tête, pas pour la saluer comme la tradition le voulait. Il planta son genou en terre et attendit qu’elle lui offre le droit de se relever.

« Bien mon cher Okrone, je suis heureuse de voir combien vous respectez les lois de Droa’k, notre gardien, celui qui mènera nos âmes vers un monde meilleur.

-Et qui vous guidera vers votre défunt mari, renchérit le prêtre.

-Oui mon brave Kahang’krach, vers mon défunt roi. Relevez-vous Okrone et dites-moi ce qu’il en est de notre prochaine purification.

-Ma reine, je suis au regret de vous informer qu’une de nos troupes a été attaquée et décimée. Les preuves sur place sont indéniables. Les change-formes sont coupables. Ils ont tendu une embuscade à nos hommes afin de libérer nos prisonniers.

-Nos prisonniers, s’emporta le prêtre ? Nos démons ! Ma reine, leur âme est viciée, leur existence même…

-Je ne le sais que trop. Okrone, tu dois réaliser ce qu’il en est. Nous ne pouvons les laisser vivre. Leur sang, leur magie sont maudits. Les laisser vivre signifie laisser closes à jamais les portes de l’autre monde. Mon peuple doit avoir un avenir ! Même si cela signifie exterminer les change-formes. Alors, va ! Et achève la mission que je t’ai confiée.

-Par tous les moyens, ma reine, je remplirai mon devoir envers vous. »

precédent2suivant2