Compagnons de route

Le regard plongé dans ses yeux vides, les derniers événements lui revinrent en mémoire. La grotte dans laquelle sa femme avait pénétré avant de s’effondrer, l’animal qu’il avait chassé pour elle avant de la préserver de sa présence. Puis la chaumière où il l’avait tirée pour que ses habitants la trouvent, et qui s’était avérée être un piège, les soldats de la reine, et enfin l’attaque des change-formes. Tout cela n’était qu’une suite d’erreurs qu’il avait commises. Le résultat était entièrement de sa faute. Pourtant, s’il devait se retrouver devant chacun de ses choix, Alissart ignorait s’il pourrait agir différemment.

Devenu indigne d’elle, il s’était juré de ne plus l’approcher, sans toutefois parvenir à trop s’en éloigner. Tapi dans l’ombre, il ne devait que veiller sur elle. L’abandonner alors qu’elle mourrait de faim et de froid n’était cela dit pas une réponse. Il n’avait pu se résoudre à la laisser à moitié à l’abri de cette grotte et, brisant sa promesse pour la première fois, il l’avait rejointe pour la mettre, si ce n’était au chaud, au moins au sec. Puis il était parti chasser, comme Murios lui avait appris à le faire, avant de la laisser pour retourner dans les ombres. Loin d’elle et surtout elle de lui.

La seconde fois fut la pire de ses actions. Bien qu’il n’avait pu le réaliser que lorsque les cavaliers de la reine avaient mis sa femme dans une cage, aux côtés d’autres prisonniers. La voir ainsi enfermée, démunie, sans désir ni volonté, lui avait transpercé le cœur. Alissart avait ardemment voulu se trouver avec elle, même si cela devait les conduire à une mort certaine. Au moins, ils auraient été ensemble. Il ne l’avait pas fait. Après tout, c’était lui qui avait mené sa femme si près de la maison. Et même dans la mort, Alissart ne méritait pas d’être avec son aimée.

Tout le temps qu’il avait suivi la colonne de cavaliers, il avait réfléchi à toutes les manières de venir libérer Éloare. La cage était encadrée par quatre hommes d’armes, jour et nuit. Constamment surveillée, Alissart n’avait vu aucun moyen de s’en approcher sans se faire voir. Même s’il savait ne pas mériter sa vie, il avait aussi conscience que mourir planté sur une lame n’aurait en rien aidé sa femme. Un jour, alors qu’il suivait la colonne tout en réfléchissant, les cavaliers avaient été attaqués par des animaux aussi variés que déterminés. La chance avait tourné, des change-formes s’étaient élancés pour venir libérer les prisonniers. S’il avait raison sur un point, Alissart avait changé d’avis au sujet de la chance lorsqu’il avait reconnu Murios.

Caché derrière son buisson, il avait vu les change-formes s’approcher de la cage pour libérer les prisonniers. Un dernier espoir était né lorsque sa femme avait suivi le groupe. Espoir qui s’était évaporé lorsqu’elle avait été violemment projetée en arrière.

Désormais, Alissart se tenait devant la cage, la clef dans la gueule. Sa femme, le regard vide, ne le voyait même pas. C’était à se demander si elle l’avait seulement remarqué. Refusant toujours sa forme humaine, il s’appuya de ses deux pattes avant sur la paroi et inséra tant bien que mal la clef dans le cadenas avant de tourner. Un déclic lui signala sa réussite, sans pour autant faire réagir Éloare. Elle restait là, assise, le dos contre la prison. Aucune lueur ne brillait plus dans ses yeux autrefois si pétillants de vie. Alissart serra la mâchoire. S’il n’était plus un homme, au moins pouvait-il être un compagnon de route. Il s’approcha de sa femme et s’allongea contre elle, calant son museau contre son menton.

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