Attaque surprise

La gueule au plus près du sol, Alissart progressait avec une grande prudence dans l’épaisse forêt. Prenant garde aux tapis de feuilles qui pourraient trahir sa présence, il faisait parfois de larges détours avant de se cacher derrière un tronc pour reprendre son souffle. Alissart n’avait jamais été un chasseur, et encore moins sous sa forme animale, aussi, cet exercice le fatiguait rapidement. La précision et la lenteur de chacun de ses mouvements brûlaient ses muscles. Le contrôle approximatif de sa respiration empêchait l’air d’entrer et de sortir normalement. Sa cage thoracique se bloquait trop souvent, provoquant parfois de petits vertiges.

Tous ses efforts et les souffrances engendrées ne l’arrêtaient cependant pas. Son objectif était clair dans sa tête. Il savait avec précision où aller et depuis peu, comment s’y rendre. La moindre feuille, le moindre tronc n’étaient désormais plus un secret pour lui. Une patte après l’autre, il gagnait du terrain. Il sentait l’herbe glisser sous son ventre et, le goût du sang encore en bouche, il aperçut sa cible. Immobile et n’attendant que l’arrivée fatale de l’aindo, elle ne lui tournait pas complètement le dos. Alissart devait encore faire un petit détour avant de pouvoir lui tomber dessus.

Sans accélérer l’allure, il continua son chemin, les yeux rivés sur son objectif. Une approche en demi-cercle lui assurerait la victoire. Passer derrière cet arbre, contourner le buisson qui suivrait, attendre et récupérer derrière la butte puis sauter au cou de sa cible. Car voilà de quoi il était question. Alissart s’était juré de ne plus être poursuivi. Cesser d’être la proie pour devenir le chasseur, voilà qui devait promettre un avenir à sa femme.

L’arbre puis le buisson contournés, Alissart prit un instant pour reposer ses muscles endoloris et reprendre son souffle. Ses pattes tremblantes lui permirent tout de même de jeter un œil par-dessus le relief. Toujours immobile, sa cible regardait loin devant elle. Mais surtout, elle offrait un dos parfaitement sans défense à l’attaque planifiée à son intention. Les conseils de Murios, le woualin au corps souple et vif et aux griffes meurtrières, avaient été très enrichissants. La technique d’Alissart était encore loin d’être aussi développée que son maître en la matière, mais ses progrès avaient été fulgurants, lui avait-il dit. Sa volonté de protéger sa femme en était l’élément clef. Alissart deviendrait un vrai combattant pour défendre la cause des change-formes.

Ce fut cette idée qui le projeta enfin vers sa cible vêtue de pied en cape de métal. Devenir un vrai guerrier usant de sa force et de ses pouvoirs pour offrir un monde meilleur à sa femme. Voilà tout ce qu’il espérait. Un avenir.

Il fendit l’air et traversa le peu de distance qui le séparait du soldat avant de lui sauter au cou, la gueule grande ouverte, les crocs sortis. Profitant de son poids et de son élan, Alissart fit violemment tomber le soldat face contre terre, avant de déchiqueter sa prise. Agitant violemment la tête, l’aindo fit voler en tout sens la paille qui inonda bientôt le sol.

Des applaudissements l’interrompirent. Murios sortit d’un fourré non loin d’Alissart :

« Félicitations, déclara-t-il sans montrer de joie particulière ! » Froid et d’un caractère hautain, Murios n’était pas un homme qui montrait ses sentiments. « Tu as su profiter du terrain pour approcher discrètement de notre mannequin. Je savais que tu ferais un bon chasseur. Te faire subir l’entraînement de Flauch n’aurait fait que tarir ton talent. Bien que la violence dont tu as fait preuve soit digne de sa brutalité. Quoiqu’il en soit, je pense que tu es prêt pour la prochaine étape. Penses-tu pouvoir tuer de vrais gardes ? »

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