Repas au cercle de pierres

Suivant un chemin qu’il n’empruntait pas pour la première fois, Alissart marchait à la suite des autres combattants. Hommes et femmes se réunissaient, comme chaque fois pour le déjeuner, dans un cercle de pierres niché dans la forêt qui bordait le campement. L’odeur du sang frais planait dans l’air, promesse d’un repas qu’il n’appréciait guère. Ce rituel, Alissart ne le voyait toujours pas d’un bon œil, mais il s’y pliait, comme tous les change-formes qui avaient décidé d’agir pour le bien des autres.

Cette idée était sa nouvelle ligne de conduite. Il s’était juré de tout faire pour que sa femme vive en paix, dans un monde où elle n’aurait plus rien à craindre. Et si cela signifiait retrouver les combattants dans un lieu plutôt effrayant pour manger de la viande fraîche et encore sanguinolente, il le ferait. Pas de bon cœur. D’autant plus que cette viande avait un arrière-goût étrange. De quel animal pouvait-elle provenir ? Le change-forme l’avait déjà demandé une fois ou deux à Murios. L’unique réponse qu’il avait obtenue fut qu’un jour son maître de chasse l’emmènerait en tuer, pour nourrir les autres.

Lorsque tous furent rassemblés, le maître de cérémonie leva les bras, captant ainsi l’attention de tous : « Mes chers confrères et consœurs, contemplez le repas qui nous attend. Cette chair fraîche va bientôt vous nourrir, vous des guerriers créés par un destin tragique. Vous qui n’aspiriez qu’à vivre en paix, vous vous trouvez ici entourés de vos semblables. N’ayez crainte, nous sommes tous unis. Avant que nous commencions, j’aimerai féliciter Élorant et Nilerine pour leur succès aux entraînements. » Le maître de cérémonie applaudit les nouveaux venus, bientôt suivi par toute l’assemblée. « Vous vous êtes très bien débrouillés. Et bien que nous puissions nous réjouir de compter sur deux nouveaux membres, nous pouvons aussi nous en attrister. Car leur présence, votre présence, dit-il en désignant ceux qui l’entouraient d’un geste circulaire, n’est qu’un sombre coup du destin. Je tiens à vous le rappeler, si nous sommes là, c’est uniquement à cause de la chasse que la reine a lancée contre nous ! Nous sommes malheureusement forcés de réagir. Et bientôt nous agirons ! »

Nombre de personnes encouragèrent le maître de cérémonie par des cris de guerre ou des applaudissements. Alissart ne savait trop quoi penser. Bien entendu, il voulait se battre, il voulait protéger sa femme. Même s’il aurait préféré ne pas avoir à fuir et abandonner sa vie. Et pourquoi ? Il l’ignorait. Excepté que les soldats les pourchassaient et qu’il tenait à la vie. Comment, pourquoi en était-il arrivé là ?

« Allons mes amis, mangez, finit par dire le maître de cérémonie. »

Rapidement, il se transforma en ourga. Haut comme un homme et demi, cet animal lourd et puissant faisait vibrer le sol à chacun de ses pas. Arrivé au centre du cercle de pierre, il ouvrit la gueule, laissant apparaître des crocs redoutables, et commença son repas, signalant à tous de faire de même.

Ainsi, un peu à contrecœur, Alissart en fit autant. Ses cheveux laissèrent place à des poils rayés de roux, de blanc et de gris qui recouvrirent rapidement tout son corps. Son nez et sa bouche se muèrent en un long museau avant qu’il ne tombe à quatre pattes. Ainsi transformé en aindo, il rejoignit le groupe. Bien qu’encore gêné par cette habitude de manger sous forme animale, Alissart se força à mordre dans la viande. Finalement, elle n’avait pas si mauvais goût.

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