L’accueil des morts

Assis avec le défaut de droiture qui le caractérisait, Ourkess observait la bataille qui s’achevait depuis le hall de sa demeure. Sa lassitude face à ce type de spectacle le poussa à expirer avec force l’air que recelait sa carcasse céleste. Lui, le dieu de la guerre, redouté même de ses pairs, devait limiter sa vie à regarder des hommes et des femmes tomber au combat.
Pour sa gloire, certes… Qui croissait pour chaque brave récolté, certes…
Malgré cela, et depuis peu, l’idée qu’il restait captif du désir de ses frères et sœurs le taraudait. Sa propre faim pour la mêlée leur avait profité. Il s’était offert à leur piège. La bataille l’appelait, depuis des siècles. Et il devait perdurer là, à macérer, jusqu’à ce que la Terre se vide de tout guerrier. Alors il pourrait tous les combattre, et puisqu’il survivrait, il faucherait les faibles et réamorcerait les préludes de la vie. Mais, respectueux de l’accord passé avec les autres immortels, il restait assis, observait, et ouvrait la voie céleste aux preux. Et plus le temps s’écoulait, plus il réalisait que l’heure de sa gloire le fuyait. Les Hommes, les guerriers, la hausse de leur démographie se poursuivait hiver comme été.
La bataille qu’il surveillait s’acheva, aussi claqua-t-il des doigts à l’adresse des corbeaux. La myriade de plumes de jais aux riches reflets se précipita vers la baie ouverte sur le champ de cadavres. Il les admira quelque temps se repaître de l’âme des faibles, puis se lassa avec la même rapidité.
Le premier guerrier supposé louable apparut, à l’autre bout du vaste hall, rattrapé sous peu par ses frères et sœurs, alliés ou rivaux. Chaque mort de fraîche date affichait cet air idiot. Perdu, il regardait partout autour de lui, les pierres bleutées à la droiture parfaite des piliers, les têtes de créatures terribles sur les murs, leurs peaux sur le sol. Puis, et au bout du compte, Ourkess. Dès lors, le soldat écarquillait les yeux puis s’arquait face au dieu qui l’observait, à la fois fier de lui-même et effrayé.
Au cœur des murmures de ceux toujours déboussolés, la voix de Mazy se faufila jusqu’à lui. Sa force, vive et farouche, le secoua, le heurta. Sa tête trembla de surprise, puis se voila du masque de la colère. Il serra les doigts et frappa la pierre du siège qui l’accueillait. Trop lâche pour périr, elle le défiait ! Lui ! Ourkess, dieu de la guerre et maître de toutes les âmes valeureuses ! Qui croyait-elle être ? Il se releva, puis réalisa que la totalité des soldats morts le fixait, l’admirait, l’adorait.
Peu importait cette femme, peu importait ses désirs futiles. Si elle avait eu la vie sauve, elle méritait d’être aspirée par sa couardise.
Trop colérique, Ourkess resta sourd à l’ultime bravade de Mazy.