La clef

Le voyage jusqu’au refuge d’Alij, le faiseur de clefs, avait mis à mal les réserves de vivres de la guerrière. Au cœur de cette terre de soufre et de fumée, la chasse s’était faite impossible. Mazy avait dû, au hasard, retrouver sa route et rallier la bourgade la plus proche pour remplir ses sacs.
Chose faite, elle vidait sa chope près du comptoir de la brasserie locale. Les yeux rivés sur le cadeau de l’immortel, elle se rappela la créature de la grotte, le combat qui les avait opposées, l’effet de sa victoire sur le dieu. Elle s’était excusée pour sa Vlaha, quelque peu perdue, puis il l’avait guidée jusqu’à sa forge. Toujours attristé, Alij lui avait offert la clef qui devait ouvrir la Porte, lorsqu’elle serait estimée.
Estimée de qui ? De quoi ? Pourquoi ? Quelle porte ?
Il avait gardé ces vérités pour lui, et l’avait chassée de sa demeure.
La porte claqua et sortit Mazy de ses rêveries.
L’homme qui apparut ressemblait à tous les fiers pillards qu’elle avait déjà croisés. Il s’auréolait de l’ombre de sa meute alors qu’il était seul, marchait comme les rois au milieu des bouseux, et traitait comme sa propriété tout ce qui avait le malheur d’attiser sa curiosité. Il apostropha le maître des lieux et exigea sa bière habituelle.
Lorsque l’écumeur passait à côté, la joie maussade des hommes se tarit aussitôt. Mazy comprit la cause de cette désagréable atmosphère, qui couvait depuis qu’elle avait posé le premier pied sur le sol de ce village. Toutefois, elle préféra rester hors de cette affaire et but, stoïque.
L’autre fit de même, réclama sa deuxième bière, puis regarda l’assemblée.
« Y a pas à dire, il est sympa vot’ village. Vous êtes toujours si serviables. J’le dirai au chef, Gruuuuuuu… »
Le mot dura et dura, puis fut coupé par la stupeur.
«  Mais qui voilà ? » reprit le pillard.
Il quitta le comptoir et s’approcha de la guerrière. Il l’observa, approuva, puis s’assit face à elle.
« Ma foi, c’est la première fois que j’te vois là. Pas vrai ?
– Je suis de passage. J’ai acheté des vivres, poursuivit-elle avec calme, je repars ce soir.
– Celui qui t’a filé ça t’a pas dit que c’était pas à lui ? La bouffe est taxée ici, va falloir payer.
– Je me suis déjà libérée de la somme requise.
– Hum, j’crois pas. Je suppose que j’vais d’voir m’approprier cette belle hache que t’as là ? »
Du bout des doigts, il caressa l’arme de Mazy posée sur la table.
« Jamais vu pareil truc, très belle.
– Elle m’a été offerte, impossible de la laisser. D’ailleurs, souffla-t-elle, j’ai assez ri. Quel que soit le prix, je refuse de payer. Alors dégage de là, ou tu perds tes doigts. »
Surpris par la réplique, l’homme serra malgré tout ses doigts autour du bois de l’arme. Mazy abattit sa chope sur eux, puis la lui projeta à la figure. La hache libérée retrouva sa propriétaire, qui réitéra sa première attaque. La lame coupa les petites extrémités du bougre. La table suivit.
« Arrêtez, hurla le propriétaire, arrêtez ! »
Mazy quitta des yeux la loque qui pleurait à ses pieds.
« C’est pas vrai…
– Hé, je l’avais averti ! Il a essayé de me voler, il paie. D’ailleurs… »
Elle fixa sa cible, puis leva sa hache.
« Pitié, l’implora le bougre.
– Que je te laisse vivre ?
– Oui, pleura-t-il, je suis désolé madame, j’le f’rai plus.
– C’est sûr ! »
Alors qu’elle abaissait le bras, la tablée la plus proche se leva au débotté pour la stopper. Mazy se glissa sur le côté, pour creuser l’écart, et dirigea sa lame vers les fous.
« Si vous faites ça, se hasarda le courageux du groupe, le chef de ces voyous exercera des représailles. Et vous, vous serez partie. Qui alors restera pour souffrir sa colère ?
– Pas moi, comme vous l’avez dit.
– Assumez votre acte ! l’assaillit le propriétaire des lieux.
– S’il vous plaît, reprit l’autre avec calme, vous devez aider le village. Vous pouvez aider le village.
– Et qu’est-ce que je retire de cette affaire, à part le risque de mourir ?
– Ce que vous trouverez sur les cadavres. L’or, les vivres, et la gratitude des villageois. »

 

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