À l’origine, ce texte devait marquer la deuxième partie de l’histoire de Carmin. Puis j’ai réalisé qu’il dénaturait le héros. je ne voulais pas en faire un voleur ni un charmeur. Carmin est juste un farceur, un monte-en-l’air capable de franchir tout les obstacles. Aussi, j’ai décidé me reprendre.
Voici tout de même le deuxième texte présenté avant le recadrage :
Au cœur d’une telle soirée, où tous les grands de la ville se réunissaient pour étaler leurs richesses, Carmin se sentait comme chez lui. Un vrai poisson dans l’eau. À la vue de tous et pourtant invisible, il profitait pleinement de l’hospitalité de ce cher duc. D’ailleurs, pensa-t-il en buvant un verre Ronce-Rouge, cuvée 84 de l’ère d’Armon, il est temps d’aller le saluer. Carmin observa un instant la foule à la recherche du notable.
Dans ce hall disproportionné où chaque personne ressemblait à une fourmi, le duc ne passait pas inaperçu. Vêtu de rouge et de bleu dans cet univers de marbre jaune, il fanfaronnait sur une estrade au fond de la pièce. Tout sourire, Carmin termina son vin, laissant son regard traîner sur les peintures épiques recouvrant le haut plafond. Quel dommage de ne pouvoir les emporter.
Abandonnant son verre sur la table derrière lui, il se faufila parmi les invités, posa sa main avec légèreté sur le dos d’une femme, et s’excusa de devoir passer. Un sourire charmeur détourna son attention des doigts fins de Carmin, qui vinrent la soulager de l’un des nombreux colliers de diamants qui pendaient à son cou. Bien entendu, il déroba le plus léger, préférant abandonner cette future monnaie sonnante et trébuchante plutôt que d’alerter une foule de pingres. Sa nouvelle prise rejoignit les autres dans l’une de ses nombreuses poches dissimulées.
Notre voleur continua son avancée vers l’estrade, allégeant ces hommes et ces femmes souffrant du poids de leur richesse. Il se mêla de temps à autre aux conversations et échangea des banalités avec les invités. L’une d’entre elles s’orienta même vers sa dernière farce, qui n’avait bien entendu pas vraiment plu au roi. Et il s’amusa à s’indigner de ce Carmin sans foi ni loi. Certains toutefois, sans le soutenir, critiquèrent ouvertement leur souverain. Personnellement, il ne le connaissait pas et n’avait pas réellement voulu l’attaquer. La tentation avait simplement été trop forte.
Avant de rejoindre l’estrade, il bifurqua vers l’une des grandes fenêtres et demanda à ce qu’on lui ouvre. Une chaleur étouffante l’empêchait de respirer, il avait besoin d’air. Un serviteur s’exécuta sans dire un mot, laissant à Carmin le soin de monter sur la marche et de se pencher vers l’extérieur. Il en profita pour vérifier son plan de sortie, les yeux rivés vers le bâtiment de l’autre côté de la rue. Il était un peu loin, mais ça devrait aller. Puis notre voleur annonça au serviteur qu’il revenait vite et que cette fenêtre devait rester ouverte.
Pour faire bonne figure avant de quitter les lieux, Carmin voulait remercier le duc pour cette magnifique soirée. Il rejoignit donc l’estrade et planta un genou au sol, la tête inclinée vers le bas. Lorsqu’il la releva, l’homme en face de lui se décomposa.
« Non, fut tout ce qu’il put dire.
-Mon cher, c’est comme toujours un vrai plaisir, déclara Carmin en ouvrant largement les bras. Malheureusement, je vais devoir vous quitter.
-Gardes ! Arrêtez cet homme, arrêtez Carmin !!! »
N’attendant pas qu’on vienne le chercher, il traversa la foule en direction de la fenêtre. Et, à quelques pas de la sortie, il accéléra l’allure. Le pied droit sur la marche, l’autre sur le cadre, il poussa aussi fort qu’il put et Carmin s’envola dans la nuit. Son saut lui sembla durer une éternité. Les quatre étages en dessous de lui étaient-ils responsables de cette impression ? Ou l’obscurité changeait-elle ses perceptions ? Toujours fut-il qu’à l’approche du mur, il tendit ses pieds vers la paroi pour amortir le choc avant d’agripper la corniche de ses deux mains. Puis il se hissa sur le toit, salua les invités une dernière fois et quitta les lieux, fier de lui. Sacré saut quand même.
