Le passeur

Cet exercice est inspiré d’une situation bien trop d’actualité. L’idée m’est venue en contemplant une carte posée près de mon bureau. Ainsi, ce texte, qui n’est que la première des trois parties de mon exercice, raconte l’attente de réfugiés avant l’ultime traversée. 

La nuit était aussi noire qu’ils auraient pu le rêver. Même dans leurs espoirs les plus insensés, la lune n’avait été aussi bien voilée qu’en cet instant. Un vent terrible soufflait, un vent à recouvrir le moindre son, un vent qui forcerait n’importe qui à se cacher derrière un mur pour s’abriter, et spécialement les gardes qui faisaient leurs rondes. Le froid mordant avait abandonné le pays pour se réfugier dans les Pics des Trois Géants le mois dernier et désormais les journées étaient clémentes. Même si les soirées étaient toujours fraîches, au moins pouvaient-ils y dormir sans peine. Le tout était de ne pas faire de feu.

Malgré les risques qu’ils couraient, malgré l’importance de l’instant, les conditions météo emplissaient le cœur des exilés d’un espoir nouveau. Cependant, Ishtar ne partageait pas leur enthousiasme. La moindre erreur pouvait briser ses plans et les faire repérer. Auquel cas, les gardes ne retiendraient la corde de leur arc que pour leur hurler de courir pour leur vie. Et si jamais Ishtar survivait à cela et qu’ils s’emparaient de lui, eh bien, il préférait ne pas y songer. Le dernier passeur capturé n’avait survécu qu’une nuit dans les donjons des lisnaliens, une nuit sans fin à implorer la mort en hurlant.

La malchance, cette fausse amie qui accompagnait Ishtar, était aussi à prendre en compte. Heureusement, jusqu’à présent, elle n’avait pris aucune vie, seulement retardé le départ de dizaines de réfugiés. Un commandant mal informé qui se trouve à faire une manœuvre au pied de la muraille, une inspection surprise, une pluie torrentielle ou un brouillard trop épais pour ne serait-ce que voir son propre nez, rien n’avait épargné Ishtar. Ainsi, ce soir était un peu troublant pour lui. Tout se déroulait trop bien, tout était trop facile.

L’agitation commençait à se faire sentir dans le groupe. Les enfants s’étaient levés pour essayer d’apercevoir les murailles. Les hommes s’impatientaient et les quelques bébés menaçaient de se réveiller. Ishtar pria intérieurement qu’ils ne s’éveillent pas pendant la traversée. Car oui, un bébé qui ouvrait les yeux au pire instant était une promesse funeste. Ishtar savait que faire traverser ces gens mettait sa vie en péril. Pourtant, à aucun instant il n’avait réfléchi à abandonner. Même aujourd’hui, s’il venait à mourir, une seule vie aurait disparu contre les dizaines qu’ils avaient déjà sauvées en leur faisant traverser les murailles. Quant aux autres, ils avaient toutes les chances de se faire rattraper par les chasseurs de la reine Irneine. Et pourquoi ? Cette question le mettait toujours hors de lui. Aussi décida-t-il de se lever. Un silence parfait s’instaura, la peur était revenue dans les yeux de chacun.

Il était désormais temps de traverser la plaine et de rejoindre le pied des murailles. De là, Isthar n’aurait plus qu’à ôter quelques pierres pour ouvrir une voie secrète dans les défenses même de Lisnlor et guider les réfugiés vers leur nouveau pays.

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