À la taverne

Pour ce texte, je vais oublier la règle habituelle des 400 mots puisque l’exercice est cette fois bien différent. Voilà déjà bien longtemps que l’on m’avait parlé de l’idée d’écrire une scène du point de vue de personnages différents, ayant donc un passé, des idées, des habitudes et des vies propres. Seulement, avec l’écriture de La Guerre des Oubliés, j’ai dû le reporter.

Ainsi, dans ce texte, vous découvrirez quatre histoires pour quatre personnages se rendant dans l’auberge d’un village de campagne. Aussi peu accueillante pour les étrangers qu’un lieu de réconfort pour les habitués.

La gorge nouée et le bouche crispée par le dégoût, Haut-Ermond posa sa main gantée sur la porte crasseuse et la poussa sans grande conviction. Les rires gras et les grosses voix se turent à son arrivée. Digne, il releva la tête, tira un mouchoir de soie qu’il sortit de sa poche intérieure gauche et s’en couvrit le nez. L’intérieur de l’établissement et ceux qui s’y trouvaient étaient à l’image de la devanture. N’y avait-il rien de décent dans ce village pour un homme de son statut ?

Luttant contre son envie de vomir, Haut-Ermond se dirigea vers le tenancier des lieux. L’homme était occupé à nettoyer un verre tout en ramenant la vie dans son établissement à grands coups de hurlements. Ainsi, les conversations du peuple reprirent plus assourdissantes encore qu’à son arrivée. Il continua malgré tout sa progression jusqu’à rejoindre le comptoir. Là encore, la propreté était loin d’être le maître mot. Le noble posa son regard sur les flaques de boissons indignes de sa personne avant de fixer l’aubergiste. Et voyant que ce dernier ne faisait rien, il se décala, sortit un autre mouchoir et le posa sur le comptoir, se protégeant ainsi de la saleté apparente.

« Qu’est-ce vous désirez ? »

* *

Ah, la journée a été longue, pensa Curbaurt en grimpant les trois marches du perron. Et quoi de mieux qu’une bonne bière fraîche pour se détendre ? Pour lui, rien, si ce n’était le faire avec ses amis, bien sûr. Il franchit le seuil de l’auberge avec le cœur léger, poussant la porte et la laissant se refermer dans son dos. Un coup d’œil rapide lui permit de trouver la table qu’il recherchait et surtout, ceux qui s’y trouvaient déjà.

Après un accueil chaleureux et une invitation aux festivités, Curbaurt s’assit et hurla par-dessus le brouhaha ambiant : « Guertrand, pareil que d’hab ! »

* *

Les étrangers étaient toujours repérés dès leur entrée dans un établissement tel que cette auberge, Alikart le savait. Aussi décida-t-il de conserver sa capuche. S’il pouvait rester un visage voilé aux yeux des villageois, il aimait autant.

Il franchit les portes sans la moindre hésitation, sans le moindre doute, aussi naturellement que possible. Il s’arrêta un instant, contemplant les environs, la position des tables, le nombre de personnes, combien d’entre eux étaient en état d’être une menace potentielle, combien avaient trop bu, parmi ces derniers combien pourraient s’énerver et devenir violent et surtout, où étaient les sorties potentielles. Ainsi qu’il s’en doutait, les curieux finirent par s’apercevoir qu’il n’était pas l’un des leurs.

Alikart inclina la tête en guise de salut. Dans un lieu comme celui-ci, autant être poli, cela pouvait éviter bien des mésaventures. Et, ne s’attardant pas plus qu’il ne le devait, il se dirigea vers la table la plus au fond de la salle, s’asseyant dos au mur, et surtout face à toute l’assemblée. Garder un œil sur une salle pleine était une chance supplémentaire de garder sa propre vie.

Son regard se posa sur une serveuse et attendit qu’elle le regarde à son tour. Lorsque la chose fut faite, il leva la main et lui fit signe de venir. Elle progressa dans la pièce avec aisance, un plateau empli de chopes sur la main. « Que vous faut-il monsieur ? »

* *

Trop tard pour reculer. Après tous ces mots échangés, toutes ces promesses, il lui était impossible de les décevoir. D’autant plus que cette liberté, cette égalité, n’étaient pas un rêve uniquement pour les autres. Faire demi-tour maintenant signifiait les abandonner. Ces gens dans son dos comptaient sur sa prochaine action. Un pas en arrière signifiait les laisser tomber.

Un pas en avant était tout ce qui lui était possible, aussi fut il fait, puis un autre et encore un autre jusqu’à rejoindre la porte de l’auberge. Une grande inspiration, des chuchotements de soutien, puis sa main se posa sur le bois, guidée seulement par sa conviction et son désir de victoire. Cette même force poussa et fit avancer ses pieds. Et là, aucune surprise, les voix se turent, les buveurs posèrent leur chope. Et tous les regardèrent entrer. Le silence l’empêcha de parler, et lorsque l’un d’entre eux se leva, son corps refusa de bouger, sa bouche refusa de s’ouvrir.

« Minesse, tu veux vraiment aller jusqu’au bout ? On t’l’a tous dit, la taverne, c’est pas pour vous. L’alcool, c’est pas bon pour les femmes. »

À ces mots, la volonté de Minesse se raviva : « Ah? Et je peux savoir qui a décidé que vous les hommes, vous êtes meilleurs. Donne une bonne raison qui dit que nous les femmes on a pas le droit de boire. Une vraie raison !

-Tu vas pas recommencer. L’alcool est une boisson trop forte pour vous, vous ne tiendrez pas.

-Tu veux dire comme vous quand vous rentrez saouls comme des ânes après une soirée ici. Ou plutôt, comme tous les soirs quand vous rentrez ? Nart le rond, Agus le poivrot ou Jorad-vingt-bières. Voilà des noms virils qui montrent bien que vous êtes forts, hein. Ça suffit, on va vous montrer qu’on peut boire nous aussi, sans finir dans le caniveau. Mesdames, c’est à nous. Guertrand, sers-nous, on va se mettre à cette table.

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