Une pause méritée

Vélor arraché aux griffes du nénuphar et jeté à la hâte sur l’épaule de Chaltan, le groupe ne s’éternisa pas. Sans compter les renforts commandés par le molosse, les soldats alentour attirés par le bruit, restaient encore ceux guidés par l’infortune. Parse en tête, la princesse en retrait pour protéger leurs arrières, ils contournèrent les immenses arbres, se cachèrent derrière un tronc au besoin, dans l’espoir de s’éloigner au plus vite.

Bientôt, le chant des flammes se tarit, remplacé par celui des oiseaux. Le danger était loin. Du moins, celui de l’acier. Chaltan ignorait tout de cette forêt où son navire avait échoué, hormis que, comme tout lieu sauvage, elle renfermait sans doute des plantes toxiques, des prédateurs, voire des serpents venimeux et des champignons vénéneux. Trop étourdi par les événements récents, le chat bleu suivit le rythme imposé par Parse, tout en offrant le plus de confort possible à son ami. Sitôt tiré du sarcophage, le goéland s’était évanoui. Viguette s’était proposée de conserver le cristal à l’abri. Chaltan s’y était opposé, jugeant préférable de le ranger dans la sacoche du magicien.

Après de nombreuses heures à marcher ainsi, le maître d’armes s’arrêta enfin.

– Faisons une courte halte, déclara-t-il en scrutant les environs. Nous avons tous besoin d’un peu de repos. Vous soufflez comme un éléphant, précisa la souris en désignant Chaltan. Posez donc votre ami par là. Quant à vous, Votre Majesté, vous n’êtes pas encore habituée à une telle marche.

Piqué par la remarque, Chaltan n’en coucha pas moins Vélor à l’endroit indiqué. Alors que Parse s’éloignait, Viguette tira de son sac une couverture qu’elle étendit sur l’oiseau. Le marin réalisa qu’il ne disposait d’aucune autre affaire que celles qu’il portait, pas de change ni d’étoffe pour se réchauffer, pas d’outre ni de gobelet. Hormis ses vêtements, son marteau Grunthor et son couteau, il n’avait rien. Par réflexe, il fouilla sa ceinture. Sa bourse ! Il avait dû la perdre lors du naufrage ou pendant sa chute de l’arbre. Quel imbécile. Il n’avait même pas songé à ramasser une partie du trésor dans les cales. En réalité, avec tout ce qu’elles renfermaient, il aurait pu renouveler son équipement, remplir des sacs de nourriture et prévoir financièrement l’avenir. À son retour chez lui, il reviendrait plus pauvre et sans travail. Et pour quoi ?

Alors qu’il s’échinait à accepter sa nouvelle situation, une faible lueur verte le tira de sa rêverie. Dans la main de la princesse posée sur le front de Vélor, un halo émeraude s’éveillait. Dans l’autre pulsait le cristal. Avant de se jeter sur Viguette, prêt à défendre son ami, Chaltan se ravisa.

– Que… vous… Vous essayez de le soigner ? Vous êtes magicienne ?

– J’ai quelques notions, mais je ne suis guère puissante. Sans cela, précisa-t-elle en désignant la pierre, je ne peux même pas refermer une entaille. Pour être tout à fait honnête, malgré le cristal, je ne pourrai le guérir complètement. Au moins devrait-il se réveiller demain matin. Pour l’heure, préparons un feu. Parse m’a enseigné comment éviter la fumée. Placé derrière ces racines, le foyer ne devrait pas se voir.

Se sentant ridicule face aux connaissances de la princesse, Chaltan s’enfonça plus profondément dans le puits de l’insignifiance. Excepté servir de mule, qu’avait-il réellement fait pour Vélor ? Le chat bleu se secoua les poils pour dissiper son mal-être et se leva en quête de bois mort.