Une discussion s’impose

– Ça suffit ! Chaltan lâcha promptement le cerf qu’il portait sur les épaules depuis la matinée. Quatre jours ! Nous marchons depuis quatre jours dans cette forêt sans que nous ayons discuté de quoi que ce soit. On pourrait, je ne sais pas, oh, peut-être savoir pourquoi nous poursuivons vers le sud au lieu de chercher à rejoindre Phérat, qui se situe plutôt à l’est ? Là-bas, nous trouverions de quoi nous payer un aller simple pour Prattel et rentrer tranquillement chez nous. À condition, princesse, que votre père accepte de pardonner votre fugue et nous laisse, Vélor et moi, en paix.

– Libre à vous, rétorqua platement Parse, de regagner la ville la plus proche.

– Oh, non, rit faussement le marin, je veux savoir ce qui se passe ! Je veux savoir pourquoi nous avançons dans cette direction. Oui, il m’a fallu du temps pour digérer l’assaut, la chute, la mort de quasiment tout l’équipage et notre fuite désespérée. Qui, je dois le rappeler, sont à mettre sur votre dos quand même. Depuis, j’ai eu le loisir de comprendre que nous nous sommes écrasés quelque part dans la partie ouest de Foron, la forêt couvrant la quasi-totalité du territoire de ces sauvages de Larviens.

– Vous voilà bien bavard, renchérit Parse.

– Et vous, pas assez à mon goût. Je vous ai dit que nous sommes dans cette situation à cause de vous ? poursuivit-il avec un ton mielleux. Je pense qu’il est important de le rappeler. À ton avis, Vélor ? C’est à croire que la princesse nous cache quelque chose.

– J’attendais de voir où nous nous rendions, intervint le goéland, dont les plaies avaient fini de se refermer grâce à sa magie. Mais si tu poses la question, je voudrais aussi entendre la réponse.

L’oiseau se montrait moins hostile à ses guides pourtant, lorsque le livre est ouvert, autant le lire.

– Parse, trouvons un point d’eau et campons jusqu’à demain. Ces messieurs ont raison, nous leur devons des explications. Si Vélor accepte de me prêter le cristal, je pourrai tenir les indésirables éloignés. Nous ferons comme je le dis, insista-t-elle face à la désapprobation de son maître d’armes.

En milieu d’après-midi, la souris dénicha un endroit parfait, au pied d’un arbre dont le tronc formait un large U. Tandis que Parse et Chaltan dégageaient un espace suffisamment grand pour accueillir tout le monde et rassemblaient feuilles et fougères, Viguette et Vélor ramassaient des pierres et des branches qu’ils disposèrent en cercle. Le cristal à la main, la princesse lançait des incantations que le magicien s’efforçait d’apprendre, allant jusqu’à prononcer la dernière.

– Nous y voilà, commença Chaltan lorsqu’il ne restait plus qu’à attendre que le cerf cuise au-dessus d’un bon feu. Ne m’en veuillez pas si je suis impatient, mais j’ai tout perdu par votre faute et j’aimerais enfin en connaître la raison.

Viguette inspira profondément et planta ses yeux dans les flammes de longues secondes.

– Nous nous rendons auprès du prince Loëllic Lam Élor, fils de Fillis Lam Élor, roi de ces prétendus sauvages de Larviens.

– Pour une amourette ! s’étrangla le chat bleu. Nous en sommes là, pour une amourette ? Avec l’ennemi, en plus !

– Écoute-la, Chaltan, intervint Vélor. Je crois qu’il y a plus que ça.

– Le prince et moi nous aimons, en effet, poursuivit la princesse après un hochement de tête au goéland. Je n’ai cependant pas tout risqué uniquement pour le rejoindre. Mon père… hésita Viguette avant de se tourner vers la sacoche renfermant le cristal du navire. Bien que la vérité soit parfaitement dissimulée, le royaume se meurt. Le roi, pour son bien-être et sa toute-puissance, épuise les ressources de nos terres. Une guerre pour de nouvelles contrées se prépare.

En un battement de cœur, la martre retrouva son assurance. Elle releva le buste, toisa Chaltan avec du feu dans le regard.

– Je m’en vais rejoindre le prince Loëllic pour faire tomber mon père avant qu’il ne soit trop tard ! Je refuse que mon royaume, mes terres et mes gens souffrent de son entêtement.

– Pourquoi ne pas lui avoir parlé ? s’enquit doucement Vélor.

– Pensez-vous sincèrement que je me suis lancée dans ce voyage, avec tous les risques que cela impliquait, sans avoir d’abord tenté de le raisonner ? Son esprit reste imperméable à mes avertissements. Après tout, je ne suis que la belle et souriante princesse. Il est plus que temps d’adopter une autre stratégie.