Un saut périlleux

Le vent sifflait à ses oreilles alors que Chaltan se laissait tomber de l’arbre. Son marteau à la main, il n’attendait que le bon moment pour l’abattre sur le crâne du molosse. Comme s’il avait compris ses intentions, Parse gardait sa lame tendue vers son ennemi et avait commencé à lui parler. La chute ne dura guère, pourtant l’esprit du marin étira cet instant, lui offrant maintes fois l’occasion de réaliser la stupidité de son plan. Le pire lui apparut lorsque l’archer caché derrière le pavois le visa. Sa flèche tirée sans aucune hésitation avala la distance en un battement de cœur. Grâce à l’effet de distorsion temporelle, Chaltan accepta la douleur à venir pour se concentrer sur sa cible en contrebas.

Le projectile finit par pénétrer la chair, perforant son épaule droite. Le chat bleu serra les crocs, tendit ses pieds griffus vers le chien et arma son poing. En une fraction de seconde, le chef de la troupe se ramassa sur lui-même et pivota au moment de l’impact. Chaltan se vit glisser sur le dos du guerrier et projeter au loin avec autant d’égard que pour un sac de toile sur le pont d’un navire. Pourtant, il roula avec le peu de grâce féline qui lui restait, se releva et lança son marteau droit vers l’archer qui le reçut dans le ventre.

La bataille reprit avec la même violence. Alors qu’il courait à quatre pattes, toutes griffes dehors, vers le soldat ainsi malmené, Parse se jeta sur le chef de la troupe. À défaut d’assommer le molosse, Chaltan espérait libérer la princesse de la pression imposée par l’archer.

En quelques bonds, le marin combla l’écart et plongea sur le guerrier encore sonné. Dès lors, le chat retrouva ses marques. Si les duels à l’épée et les volées de flèches ne trouvaient pas grâce à ses yeux, le pugilat lui parlait davantage. Il n’attendit pas que son adversaire finisse de papillonner pour lui lancer un direct du droit bien senti. Celui-là, c’était pour son épaule, dont la hampe brisée dépassait toujours. Le deuxième, porté à la mâchoire, pour Vélor qui devait vivre un enfer dans son sarcophage. Le prochain, pour son capitaine ! Et les suivants, pour Montar et Mantar ! Magnik ! Eldoran ! Fildon ! Karhut ! La colère montait à chaque coup asséné sur le visage du pauvre bougre, qui ne parvenait à en parer aucun. Chaltan revoyait chacun de ses camarades étendus sur le sol ou mangés par les flammes. La peur qu’il avait enfouie depuis l’attaque du navire resurgissait et se transformait en un sentiment nouveau et détestable. Le chat bleu, malgré lui, tentait d’éteindre cet incendie en le rejetant au loin, par ses poings.

Une main se posa sur son épaule. Aussi vif que l’éclair, Chaltan se retourna en feulant, les oreilles plaquées sur son crâne. En découvrant Parse, fatigué, essoufflé, mais victorieux, il se calma, honteux de sa réaction.

– Je crois qu’il a eu son compte, commenta sombrement la souris.

Chaltan regarda vers l’archer et vomit instantanément en apercevant son visage ensanglanté. Il s’en détourna pour trouver autour de lui autant de cadavres que de soldats du roi quelques minutes plus tôt. Il avait déjà vu ce genre de spectacle. Les combats de marins finissaient parfois de la même façon lors des escales. Chaltan aussi avait franchi la limite à l’occasion, à cause de la stupidité d’un autre, saoul et armé, poignardé par sa propre maladresse. Jamais pourtant il ne s’était acharné de la sorte. Pas plus que son navire n’avait été abattu et l’équipage massacré.

– Nous devrions libérer votre ami et quitter les lieux au plus vite, conseilla Parse avec douceur.

Sans un mot, Chaltan opina. D’un pas maladroit, le chat bleu se dirigea vers le nénuphar. Il observa le sarcophage un instant, sans prêter attention aux questions du maître d’armes dont la patience souffrait à cause de l’urgence, puis se pencha. Sa main se glissa entre les feuilles d’or à la recherche d’un petit bouton. Une fois pressé, la fleur métallique s’ouvrit sur un goéland hagard, blessé, mais faiblement souriant. Entre ses bras dormait paisiblement le cristal.